Querétaro rivale ou alliée mexicaine du Québec

Mardi, 29 Avril 2014 23:03 Pierre Duhamel
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L’État du Querétaro n’est pas reconnu pour ses plages — il est situé au beau milieu du Mexique. Sa capitale, Santiago de Querétaro (connue simplement sous le nom de Querétaro), n’est pas non plus sur le trajet des touristes qui veulent visiter Mexico, à 220 km au sud.

Mais on entend ce nom de plus en plus souvent quand on parle d’emplois perdus à Valcourt ou dans la région de Montréal.

Blogue EconomieC’est en effet à Querétaro que sont produites, depuis la fin de 2013, les nouvelles motomarines de Bombardier Produits Récréatifs (BRP), ainsi que les carrosseries et coques en plastique de tous les appareils de marque Sea-Doo. Plus de 700 personnes y travaillent, et on prévoit qu’elles seront au-delà de 1 000 en septembre 2015.

BRP suit les pas d’une autre société québécoise, Bombardier Aéronautique, qui s’y était établie en 2005. Les deux sociétés sont distinctes et indépendantes depuis la vente de la division des produits récréatifs de Bombardier en 2003, mais la famille Bombardier-Beaudoin reste le principal actionnaire des deux entités.

Bombardier Aéronautique fabrique une partie du fuselage et des ailes du nouveau Learjet 85 à son usine de Quetéraro, et on y fabriquera aussi des composantes de la nouvelle CSeries.

Alors que Bombardier Aéronautique coupe dans ses effectifs canadiens et américains à cause des délais relatifs à la mise en production de la nouvelle gamme d’appareils, l’usine mexicaine a le vent dans les voiles, comme le rapporte le journaliste Paul Gallant dans une récente édition du magazine Canadian Business.

Pourquoi cet engouement pour Querétaro ? Parce que la région est sécuritaire et qu’on y trouve une main-d’œuvre à la fois qualifiée et peu chère, selon les standards nord-américains. Un technicien en aéronautique gagne environ 25 dollars par jour, et les repas (de même que le transport) sont payés par l’employeur. Un ingénieur peut gagner 60 dollars par jour au lieu de 35 dollars de l’heure au Québec.

La venue de Bombardier Aéronautique a conduit à la création de l’Universidad Aeronautica en Querétaro, qui forme des employés de haut niveau pour le secteur. Il y a huit ans, rapporte Paul Gallant, il n’y avait que deux entreprises aéronautiques établies dans la région, qui comptaient ensemble 700 employés. On en compte aujourd’hui 33, avec 5 000 employés au total. En tout, 1 300 entreprises étrangères sont maintenant établies dans l’État, dont 24 sociétés canadiennes.

Si on s’établit au Mexique, c’est évidemment pour produire à moindre coûts. On pourrait s’en offusquer, parce que ces transactions se font aux dépens des travailleurs canadiens et québécois.

Il y a une autre façon de voir la situation.

Sans les économies réalisées au Mexique, les entreprises canadiennes auraient encore plus de difficulté à rester compétitives face à leurs concurrents chinois, brésiliens ou russes, et leur rentabilité serait beaucoup moindre — si rentabilité il y avait.

Ce sont des dizaines de milliers d’emplois industriels au Québec qui, du coup, seraient menacés, en plus de tous les postes en amont et en aval de la chaîne de production. Je parle ici des postes de concepteurs, d’ingénieurs, de comptables, de gestionnaires, de financiers et de marqueteurs, ou des représentants qui assurent la vente des appareils.

Il y a une autre grande vérité : ces chaînes d’approvisionnement mondiales sont incontournables et font en sorte qu’un pays ne saurait être un grand exportateur s’il n’est pas lui-même un grand importateur.

Pascal Lamy, l’ancien directeur-général de l’Organisation mondiale du Commerce, estime que les exportations incorporent aujourd’hui 40 % d’importations. En clair, pour exporter un produit à 10 dollars, vous devrez importer l’équivalent de 4 dollars de matériel. Si vous ne le faites pas, vous risquez de vous retrouver avec un produit trop cher qui ne trouve pas preneur. Vous voilà bien avancé !

Ce phénomène n’est pas prêt de s’arrêter, et Pascal Lamy prévoit que les produits et services intermédiaires — les intrants — compteront pour 60 % de la valeur du produit dans 20 ans.

On peut évidemment s’en plaindre, mais la tendance est lourde.

Le chemin le plus avantageux pour tirer profit de la situation, c’est d’innover et de lancer des produits. Ils seront fabriqués en tout ou en partie à l’étranger, mais tous les bénéfices de la conception, du design, de l’ingénierie, du marketing, de la finance et de la vente seront perçus par la société à l’origine du produit.

C’est là qu’on crée la plus grande partie de la richesse, de même que les meilleurs emplois.

Oui, Querétaro est notre alliée. C’est en quelque sorte notre Guangzhou nord-américain.

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À propos de Pierre Duhamel

Journaliste depuis plus de 30 ans, Pierre Duhamel observe de près et commente l’actualité économique depuis 1986. Il a été rédacteur en chef et/ou éditeur de plusieurs publications, dont des magazines (Commerce, Affaires Plus, Montréal Centre-Ville) et des journaux spécialisés (Finance & Investissement, Investment Executive). Conférencier recherché, Pierre Duhamel a aussi commenté l’actualité économique sur les ondes du canal Argent, de LCN et de TVA. On peut le trouver sur Facebook et Twitter : @duhamelp.

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