L’Institut Fraser et les grosses méchantes taxes

Jeudi, 14 Août 2014 00:14 Alexis Gagné
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Illustration : Getty Images

Mardi, l’Institut Fraser a publié une autre étude (pdf) qui, comme la plupart des études publiées par cet institut, tente d’effrayer les Canadiens au sujet des grosses méchantes taxes.
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Les résultats de cette étude sont justes, mais les conclusions qu’en tirent ses auteurs sont erronées.

Voici leurs deux principaux constats :

Pour les auteurs, ces deux résultats sont très inquiétants, signes d’un «État Léviathan» qui va, avec le temps, venir chercher tout l’argent des familles pour le jeter dans un grand trou noir.

J’ai plusieurs critiques à faire devant cette vision simpliste des choses. J’énoncerai ici les deux principales.

Premièrement, agréger toutes les taxes — incluant les impôts sur les revenus, les taxes de vente, les impôts fonciers et même les taxes sur le profit des entreprises — dans un point de «dépenses» des ménages n’est pas du tout logique.

Cela est parfaitement démontré par l’inclusion de la taxe sur les profits. En effet, les auteurs intègrent cette taxe car, selon eux, le coût de celle-ci est largement transféré aux ménages par les entreprises au moyen de prix plus élevés.

C’est certainement vrai, mais si l’on inclut une taxe comme une dépense lorsqu’elle augmente les prix des biens et services consommés par les ménages, il faudrait inclure comme revenus toutes les subventions, qui ne sont que des taxes négatives et qui font baisser les prix de ces biens et services.

Et quels sont donc ces biens et services qui nous reviennent moins cher grâce aux subventions du gouvernement ? Pour rire, dressons-en ici une liste, en ajoutant le prix qu’ils nous en coûtent :

C’est ridicule, vous me direz peut-être… mais je ne fais que suivre la logique des auteurs jusqu’au bout.

Deuxièmement, il est parfaitement normal que les montants payés en taxes par les ménages croissent plus vite que le prix des besoins de base. Pourquoi ? Parce que la plus grande part de l’argent public sert à payer les salaires, tout simplement.

Dans un monde idéal, ces salaires croîtraient au même rythme que les salaires dans l’économie globale. Et s’ils augmentaient à la même vitesse que les prix des besoins de base, cela voudrait dire que le niveau de vie serait constant.

Ainsi, le fait que la part des «dépenses» des ménages destinée aux taxes augmente est signe que le niveau de vie des ménages croît lui aussi, ce qui est évidemment — et heureusement — ce qui se passe au Canada depuis 1961.

Nous en arrivons donc à la seule vraie question soulevée par cette étude. Est-il normal (ou souhaitable) que les «dépenses» en taxes augmentent plus vite que le revenu des ménages ?

Pour la période allant de 1961 à 2013, je dirais presque certainement oui, étant donné que nous avons grandement augmenté la quantité de services offerts à la population — et que ces services améliorent la qualité de vie dans notre société.

En voici quelques exemples :

- Beaucoup plus de personnes terminent leurs études secondaires et poursuivent des études post-secondaires.

- Nous vivons plus longtemps et recevons donc davantage de services de santé.

- Le régime des rentes du Québec a été créé et bonifié plusieurs fois pour supplémenter les revenus des retraités, ce qui a contribué à faire diminuer grandement la pauvreté chez les aînés.

- Les paiements de transferts aux familles défavorisées ont augmenté.

Maintenant, il est certain que cette croissance des taxes plus rapide que les revenus des ménages ne peut continuer pour toujours, puisque l’État finirait par contrôler tous les aspects de notre économie.

OCDE

Néanmoins, le Canada est très loin de ce point. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le pourcentage du PIB que représentent les revenus de taxation au Canada est passé de 25,2 % en 1965 à 30,4 % en 2011. Une augmentation, certes, mais une augmentation beaucoup plus lente que le reste des pays occidentaux.

En effet, en 2011, le Canada se trouvait au 11e rang sur 34 parmi les pays de l’OCDE. Quelques exemples de contrées où les taxes représentent une part moins grande du PIB : le Mexique, le Chili, la Turquie, la Slovaquie et les États-Unis.

Et les cinq pays champions de la taxation, sont-ils des enfers pour leurs citoyens ? Demandons-le aux résidants du Danemark, de la Suède, de la France, de la Belgique et de la Finlande ! Ce sont leurs pays qui dominent le palmarès, avec des pourcentages du PIB allant au gouvernement de l’ordre de 43,7 % et plus.

En conclusion, les revenus des différents paliers de gouvernement au Canada ont grandement augmenté dans les 50 dernières années d’un point de vue nominal, mais seulement légèrement en pourcentage du PIB.

Cette augmentation nous a permis d’accéder à une quantité accrue de services et de maintenir un niveau minimum d’équité entre les citoyens.

Pour ce qui est de l’avenir, j’ai grandement espoir que le Canada et le Québec tentent un peu plus de se diriger vers le modèle scandinave social-démocrate qui, malgré les méchantes taxes qu’il engendre, semble mener à de meilleures finalités pour ses citoyens que le modèle néolibéral américain.

* * *

Alexis Gagné est analyste stratégique à la Fondation Chagnon, qui vise à prévenir la pauvreté en misant sur la réussite éducative des enfants du Québec. Les opinions exprimées ici sont purement les siennes.

 

 

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