Robert Marcil s’en tire à bon compte

Mercredi, 08 Octobre 2014 21:29 Brian Myles
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Photo : Graham Hughes/La Presse Canadienne

Le Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) est passé à côté de l’essentiel en imposant une radiation de 12 mois à l’ingénieur Robert Marcil — un autre qui n’avait rien vu et rien su de la collusion à la Ville de Montréal.
Politique

L’ancien directeur des travaux publics a de la chance. Son ordre professionnel l’a traduit en discipline pour un acte en apparence isolé. En octobre 2008, son épouse et lui ont accepté un voyage en Italie aux frais de l’entrepreneur Giuseppe Borsellino (Construction Garnier). Le couple a payé l’essentiel de ses dépenses, selon le témoignage rendu à la commission Charbonneau par Robert Marcil, mais le mal était fait.

L’ingénieur n’aurait pas dû accepter que Borsellino paie une partie des dépenses (environ 7 800 dollars), tout comme il n’aurait pas dû le cacher à son employeur.

L’affaire est d’autant plus gênante que Borsellino était l’un des principaux entrepreneurs à l’œuvre dans le marché montréalais à cette époque. Quelques mois avant ce voyage, auquel prenaient part Jocelyn Dupuis (FTQ-Construction) et Yves Lortie (Genivar), Robert Marcil avait été impliqué dans l’octroi d’un contrat de gré à gré de 5,2 millions à Garnier.

À la suite du témoignage peu convaincant de Robert Marcil à la commission Charbonneau, en février 2013, le syndic a mené son enquête. La preuve était si accablante que M. Marcil a reconnu sa culpabilité aux trois infractions disciplinaires portées contre lui à la première occasion.

Le Conseil de discipline passe à côté de l’essentiel… car le syndic ne lui a pas amené des preuves de corruption. Robert Marcil a été identifié à la commission Charbonneau comme l’un des responsables de la collusion au service des travaux publics. Il a fourni des informations stratégiques sur les comités de sélection à aux moins deux entreprises, Garnier et Artic Béluga. Il était en contact régulier avec les principaux responsables de la collusion. Le p.-d.g. de Genius, l’ingénieur repentant Michel Lalonde, a même dit de Marcil qu’il pouvait influencer les délibérations des comités de sélection.

Le Conseil de discipline a été privé de cette information contextuelle. Un voyage, un seul, a fait partie de son analyse. Pour des raisons qui lui appartiennent et que je m’explique mal, le syndic de l’OIQ a rétréci son champ de vision.

L’avocat du syndic et celui de M. Marcil en sont arrivés à une suggestion commune, en fonction de l’évolution de la jurisprudence en date de l’automne 2013. Les deux peines de 12 mois (à purger de façon concurrente) étaient «dans la fourchette» des sanctions appropriées (le principe des peines concurrentes a pour effet de ramener la radiation ferme à 12 mois).

À titre indicatif, l’ingénieur Robert Fortin, ex-directeur de l’arrondissement de Saint-Laurent, avait écopé de deux peines concurrentes de 12 mois (ou une peine ferme de 12 mois) pour avoir bénéficié, pour son usage personnel, d’un tracteur fourni par Infrabec et de rouleaux de tourbe de Modugno-Hortibec.

Gilles Vézina, le supérieur des fonctionnaires corrompus Luc Leclerc et Gilles Vézina, a écopé d’une sanction beaucoup plus sévère, soit deux peines de radiation concurrentes de trois ans (une peine ferme de trois ans). Le Conseil n’a pas tenu compte de cette décision parce qu’elle a été rendue après que les parties en furent arrivées à un accord de principe dans le dossier de Marcil.

Il serait facile de blâmer le Conseil de discipline de l’OIQ pour l’apparente légèreté de la peine infligée à Robert Marcil. Le Conseil avait les mains liées, d’une part parce que le syndic lui a présenté un portrait incomplet de «l’œuvre» de Robert Marcil, et d’autre part parce que les tribunaux n’ont pas beaucoup de marge de manœuvre pour réviser les peines lorsqu’elles font l’objet d’un accord entre les parties.

Pour augmenter la période de radiation, le Conseil de discipline aurait dû se convaincre que la suggestion commune était déraisonnable, qu’elle portait atteinte à l’intérêt public ou qu’elle jetait le discrédit sur l’administration de la justice.

Avec un seul voyage en preuve et la jurisprudence du moment, je ne suis pas sûr que le Conseil de discipline avait en mains les arguments pour revoir la peine à la hausse.

Que Robert Marcil écope d’une radiation d’un an, deux ans ou même trois ans ne changera rien à sa situation. Ce personnage de mauvaise réputation n’a plus aucune chance de décrocher un emploi dans un organisme public, ni même dans une entreprise privée qui décroche des contrats publics. C’est déjà un pas vers l’avant.

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À propos de Brian Myles

Brian Myles est journaliste au quotidien Le Devoir, où il traite des affaires policières, municipales et judiciaires. Il est présentement affecté à la couverture de la commission Charbonneau. Blogueur à L’actualité depuis 2012, il est également chargé de cours à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). On peut le suivre sur Twitter : @brianmyles.

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