La brève mais laborieuse expérience de gouvernance par sondage a discrètement pris fin vendredi à l’hôtel de ville de Montréal, avec un vote unanime des 58 élus présents, tous favorables à l’octroi de contrats d’asphaltage à sept compagnies parmi lesquels figurent des membres du cartel des entrepreneurs: DJL, Louisbourg SBC et l’Usine d’asphalte Montréal-Nord.
L’urgence de combler les nids-de-poule l’a emporté sur le ressort éthique dans ce débat qui avait toute les allures d’un dilemme cornélien. En votant non, les élus auraient abandonné les automobilistes et leurs indéfectibles supporters sur les radios d’opinion à de terribles cratères qui auraient exacerbé leur proverbial mécontentement. Les élus auraient également exposé ces mêmes automobilistes, et aussi les cyclistes, à de véritables risques pour leur sécurité.
Récemment, une cycliste devenu paraplégique à la suite d’un accident à Saint-Laurent a obtenu plus de 900 000 $ en dommages de la Ville. Elle a fait un plongeon d’une quinzaine de mètres, tête première quand sa roue avant est restée coincée dans une série de puisards impossibles à contourner. On peut imaginer l’avalanche d’accidents et de poursuites qu’aurait entraîné la politique du laisser faire. Déjà que les routes de la métropole sont dans un piteux état avec leur esthétique néo-soviétique, gracieuseté des entrepreneurs qui coupent sur la qualité des ouvrages pour maximiser les profits.
En votant oui, hélas, les élus pactisent avec ces diables qui ont floué les contribuables montréalais. La collusion et la consolidation aidant, les entreprises spécialisées dans l’asphaltage ont fondu comme la neige sur le bitume printanier au fil des ans. À moins de se doter d’une usine de production d’asphalte, comme l’a suggéré Vision Montréal, il est pratiquement impossible de contourner ces entrepreneurs évoluant dans un cercle fermé.
La solution proposée par l’opposition officielle est imparfaite. Il faudrait investir des millions de dollars et patienter quelques années avant que l’usine publique produise sa première pelletée d’asphalte. Puisqu’on y est, qui donc pourrait construire l’usine? Un consortium Dessau/Simard Beaudry? SNC-Lavalin/Garnier Construction?
Des mesures pour freiner la collusion et ouvrir le marché à une véritable concurrence sont probablement plus prometteuses. La Ville de Montréal ne peut endiguer à elle seule la collusion et la corruption dans l’industrie de la construction. Elle a même fait partie du problème pendant les beaux jours de l’administration Tremblay. Il faudra bien du courage et de l’imagination aux élus, en plus d’un coup de main de Québec, pour casser les monopoles.
Dans l’immédiat, la Ville ne pouvait pas attendre un éventuel messie à la mairie, la conclusion des enquêtes de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) et des travaux de la commission Charbonneau. Elle n’avait pas le choix d’accorder ces contrats urgents. Par respect pour les Montréalais dégoutés par le trop plein de scandales, la coalition du maire Michael Applebaum doit cependant prendre toutes les mesures nécessaires pour obtenir des entrepreneurs véreux un travail de qualité, et à juste prix.
Ce ne fut pas l’épisode le plus glorieux, ni le pire à l’hôtel de ville, mais la décision est enfin prise. Le sondage bidon lancé par le maire Applebaum, avec l’appui incompréhensible de Vision Montréal, n’a pas pesé dans la balance. Selon ce sondage dépourvu de toute valeur scientifique, 60 % des répondants étaient contre l’octroi des contrats. Je n’ose pas écrire qu’ils étaient Montréalais car il est impossible d’en avoir l’assurance avec ce genre de sondage en ligne.
L’idée même de cette consultation bancale était un aveu de faiblesse de la part de l’administration municipale. Les citoyens attendent des élus qu’ils gouvernent, qu’ils prennent des décisions en leur nom et qu’ils en assument la pleine et entière responsabilité. Au moins, le vote de vendredi va dans cette voie.
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