Le CHUM permet à des chirurgiens de pratiquer des opérations esthétiques privées dans ses salles d’opération. Et il semble avoir des problèmes pour se faire payer, ce qui n’est pas très reluisant pour la profession médicale. Mais les questions de fond sont cependant beaucoup plus complexe.
La location de salles d’opération publiques pour des chirurgies esthétiques ne date pas d’hier : j’en entendais parler il y a vingt ans. Comme il s’agit de services « non assurés » par la RAMQ, le patient (souvent la patiente) doit payer tous les frais, dont une partie est versée au chirurgien et une autre à l’hôpital et son personnel. Mais cette pratique prête le flanc à la critique.
Primo, il y a au Québec beaucoup de patients qui attendent pour des chirurgies plus ou moins urgentes. Comme ailleurs au Canada — et même probablement moins. Juste au CHUM, d’après le ministre Réjean Hébert, on parle de 8500 patients en attente. Ce n’est pas rien.
S’ils attendent, c’est que le CHUM ne peut pas tous les opérer. Ni demain matin. Ni dans un mois. Ni dans trois. Essentiellement, les salles d’opération ne sont pas utilisées à pleine capacité.
Pour opérer des patients, ça prend des médecins (chirurgiens et anesthésistes), du personnel (notamment des infirmières et des préposés) et des ressources matérielles. Les médecins sont soit payés par la RAMQ (chirurgies couvertes par l’assurance publique, l’immense majorité) soit par les patients (chirurgies non couvertes, comme en esthétique, une pratique tout de même limitée). Le personnel et les ressources matérielles relèvent pour leur part du budget de l’hôpital.
Alors pourquoi le CHUM loue-t-il ses salles? Pourquoi ne pas plutôt donner une absolue priorité aux patients sur ses listes d’attente? Est-ce par manque de personnel?
C’est vrai qu’on dit qu’il manque d’infirmières. Parce que plusieurs sont parties à la retraite, mais aussi parce que d’autres… oeuvrent dans le privé.
La pénurie d’infirmières explique en partie les listes d’attente, par exemple en chirurgie cardiaque : pratiquement éliminée il y a quelques années, l’attente a beaucoup augmenté depuis quatre ans. Le manque d’infirmières assignées aux soins intensifs (qui reçoivent les patients après leur chirurgie cardiaque) ne permet pas de maintenir les volumes d’opérations.
Apparemment, on peut pourtant trouver des infirmières pour participer à des chirurgies « privées ». On les « loue », en quelque sorte.
Mais si elles sont disponibles, pourquoi ne pas les utiliser pour des chirurgies couvertes par la RAMQ?
Est-ce par manque de financement? Plusieurs le pensent. Les hôpitaux le disent : les budgets sont insuffisants pour opérer tous les patients. Des blocs opératoires sont fermés ou du moins ne sont pas utilisés autant qu’on devrait. N’est-il pas temps de mieux financer, notamment en adoptant des solutions novatrices pour diminuer, comme la Nouvelle-Zélande, le coût des médicaments? On pourrait opérer plus si on avait plus d’argent!
On peut aussi se questionner : en 2008-2009, on avait réussi à augmenter largement, de 5 à 15%, la capacité des blocs opératoires, à faible coût. Pourquoi l’exercice n’a-t-il pas été répété? Des raisons obscures. Peut-être parce que ça coûte trop cher d’opérer davantage?
Au CHUM, on sait que pour ces opérations esthétiques, le chirurgien est payé par le patient, mais qu’en est-il de l’anesthésiste? La question n’est pas banale : s’il est payé par le régime public, alors il y a un gros problème : l’argent public versé par la RAMQ à l’anesthésiste constitue du financement public pour une chirurgie privée. La séparation entre les deux pratiques devrait pourtant être étanche: sinon c’est de la mixité, une pratique interdite au Québec.
Au fait, pourquoi des hôpitaux publics pour pratiquer des chirurgies privées? Pourquoi pas les cliniques privées, qui se vantent de leur gestion et de leurs coûts réduits (bon marketing qui ne s’appuie sur rien de concret). D’autant plus qu’ils devront se chercher de nouveaux contrats, semble-t-il. Est-ce que ça coûte tout moins cher dans les hôpitaux?
Je n’aime pas beaucoup voir des chirurgies privées dans nos hôpitaux, mais j’espère au moins qu’ils chargent tous leurs frais. Et plus! Il ne faudrait pas quand même pas qu’ils y perdent de l’argent.
Déjà que pour un hôpital c’est assez inquiétant d’entrer ainsi sur le marché des soins, une subvention directe du public au privé, c’est une idée encore moins plaisante.
On souhaite que le ministre Réjean Hébert fasse toute la lumière sur ces pratiques de l’ombre, comme il l’a annoncé. Puis qu’il agisse pour que le privé ne siphonne plus les ressources publiques.
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