
Photo : Fred Chartrand/PC
Le premier ministre Pierre Trudeau et Bora Laskin, juge en chef de la Cour suprême à l’époque du rapatriement de la Constitution.
Plus que tout autre, le chef du Parti libéral du Canada devrait s’engager, s’il est élu à la tête du pays, à rendre publiques les archives canadiennes du rapatriement de la Constitution, ce que le gouvernement de Stephen Harper a refusé à l’historien Frédéric Bastien, auteur de La bataille de Londres (Boréal). Parce que Justin est le fils de Pierre E. Trudeau, artisan de ce rapatriement controversé qui a affaibli son parti au Québec, le geste n’en sera que plus marquant.
Persévérer à qualifier de « vieilles chicanes » qu’il faut ignorer les questions soulevées par Frédéric Bastien lui donne l’allure d’un vieux politicien retranché dans les câbles. On l’a connu plus audacieux sur le ring ! Ces présumées vieilles querelles sont des questions terriblement actuelles.
Si les juges de la Cour suprême peuvent aujourd’hui permettre à un garçon portant le kirpan d’aller à l’école ou à une femme voilée de témoigner à un procès, c’est en vertu de la Charte des droits et libertés, insérée dans la Constitution lors de son rapatriement, en 1982. Pour doter le pays de cette Charte, et parfois donner aux juges plus de pouvoir qu’aux élus, le gouvernement de son père — et des juges de la Cour suprême — a-t-il franchi quelques lignes rouges, comme l’affirme Bastien en se basant sur des documents obtenus en Grande-Bretagne grâce à la Loi d’accès à l’information de ce pays ?
Le juge en chef de la Cour suprême de l’époque, Bora Laskin, a-t-il ou non informé des politiciens britanniques et canadiens de certains éléments des délibérations de la plus haute cour de la fédération, qui devait statuer sur la constitutionnalité du rapatriement qu’Ottawa préparait en dépit de la volonté des provinces ?
Si des irrégularités ont été commises au nom de la « raison d’État », ces actes devraient être aujourd’hui défendables par ceux qui partagent la même vision. Comme l’a récemment écrit le chroniqueur Don Macpherson dans The Gazette : pour faire adopter la loi contre l’esclavage, Lincoln a magouillé et contrevenu aux règles. Il est pourtant perçu comme un héros.
Si Justin Trudeau croit en ce pays multiculturel que son père a fait naître, il doit permettre aux Canadiens de savoir la vérité sur les choix faits il y a 30 ans. Les gens aiment savoir, même si cela ne change rien dans leur vie de tous les jours. Mais cela les incite à se méfier des actes que leurs élus pourraient commettre au nom d’une raison qui n’est pas toujours la leur. Et parfois, à demander réparation.
La lecture des échanges révélés par les documents britanniques fait ressentir encore plus cruellement l’opacité de nos gouvernements. L’auteur n’a pu obtenir du Conseil privé, à Ottawa, que des documents lourdement censurés, tandis que les Britanniques ont fourni des textes entiers d’une richesse inouïe. On y voit paraître la surprise de Britanniques, comme lord Moran, qui découvre au gouvernement fédéral, à Ottawa, « les Canadiens les plus difficiles, les plus ombrageux et les moins amènes » !
Si seulement nous pouvions lire ce que se disaient à la même époque les hauts fonctionnaires fédéraux et provinciaux !
En attendant que Justin Trudeau prenne sa place dans l’histoire, on peut remercier Tony Blair, l’ex-premier ministre britannique. C’est grâce à la Loi d’accès à l’information qu’il a fait adopter que Frédéric Bastien peut nous donner à lire un pan méconnu de notre saga collective…
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Au nom de la « raison d’État », la France a coulé un navire de Greenpeace, le Rainbow Warrior, et les États-Unis ont vendu des armes à l’Iran, afin de financer une révolte armée contre un gouvernement du Nicaragua.
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