À moins d’un improbable revirement qui le forcerait à revenir à la barre pour être questionné par l’avocat de Guy Chevrette, Gilles Cloutier a complété son périple à la commission Charbonneau, un exercice pénible pour cet homme diminué.
Qu’il a pris un coup de vieux, le spécialiste des élections clef en mains. Frêle, fragile, fatigué, il avait besoin de longues pauses pour récupérer entre les rafales de questions. Les collègues qui couvrent la commission ont tous remarqué que sa verve et son sens de la répartie diminuaient souvent en fin de journée, lorsqu’il était au bout du rouleau. Il avait les traits tirés, le regard perdu dans l’empilade d’enveloppes brunes qui peuplent ses souvenirs.
Quel contraste avec le Gilles Cloutier de mars 2012, il y a un peu plus d’un an, qui répondait aux questions de l’insistante Marie-Maude Denis, dans un reportage présenté mardi pour ébranler sa crédibilité. Il a encore les joues rondes, bien qu’on le devine déjà un peu moins «bien portant» que le Gilles Cloutier de 2004, le maître de cérémonie des somptueuses soirées de speed dating pour élus municipaux orchestrées par la firme de génie conseil Roche, au Stade olympique.
L’ex organisateur politique ne va pas bien, et il ne s’est pas présenté à la commission par choix. L’homme qui a organisé quelque 160 élections clefs en mains a fait de la magouille partout où il y avait des contrats potentiels pour ses employeurs, Roche et Dessau. Déjà condamné une première fois pour collusion au début des années 2000, il a fait l’objet d’une nouvelle enquête du Bureau de la concurrence pour des actes similaires vers le milieu des années 2000.
À partir de 2010, il a accepté de collaborer aux enquêtes de l’escouade Marteau. Sans doute a-t-il préféré écouler ses vieux jours dans le cabinet de son médecin plutôt qu’en prison.
Gilles Cloutier n’avait plus rien à perdre, et il s’est présenté à la commission avec l’intention de faire des dégâts. Frank Zampino, Guy Ouellette, Guy Chevrette et le juge Michel Déziel ont notamment goûté à sa médecine.
Les avocats des groupes et individus ayant obtenu le statut de participant à la commission se sont comportés davantage à son égard comme des criminalistes aux prises avec un témoin taré dans leurs contre-interrogatoires. L’avocate du Parti québécois (PQ), Estelle Tremblay, a fait de son mieux pour le faire passer pour un menteur indigne de la moindre considération.
Le témoin s’est parjuré sur un détail peu significatif pour les fins de l’enquête: il était locataire, et non propriétaire d’une maison d’été de Pointe-au-Pic où des élus ont eu le privilège d’admirer la vue sur la mer. Ses explications sur la «magouille» du contrat de la 125, à Saint-Donat, et le contrat de l’usine d’épuration des eaux de Saint-Stanislas-de-Kostka, souffrent aussi de quelques entorses à la vérité.
Dans l’ensemble, Gilles Cloutier a fait progresser la commission sur la bonne voie. Au sommet de sa gloire, l’organisateur volait des élections d’un claquement des doigts, avec son budget officiel pour les yeux naïfs du Directeur général des élections, et son budget officieux, gonflé par les dons illicites des entrepreneurs et des ingénieurs. Tapis dans l’ombre, ils attendaient l’élection de leur poulain pour réclamer les contrats qui leur étaient dûs.
Que des firmes telles que Roche et Dessau aient gardé Gilles Cloutier sur leur feuille de paie pendant une décennie en dit long sur leur fourberie. Son témoignage amène une preuve indiscutable de l’emprise des firmes de génie conseil sur la démocratie municipale, et même provinciale.
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