
Photo: Ryan Remiorz / La Presse Canadienne
C’est fait. Moins de huit mois après la démission de Gérald Tremblay et huit jours après l’arrestation de Michael Applebaum par l’UPAC, Laurent Blanchard hérite de la mairie de Montréal.
Pour les Montréalais, c’est leur deuxième maire en moins d’un an coopté par le conseil municipal. Avec Michael Applebaum, Laurent Blanchard devient le second maire consécutif à ne pas être élu au suffrage universel.
Heureusement, cette fois-ci, ce ne sera que pour quatre mois.
Sur ce, au lendemain d’une Fête nationale où, dans la foulée de la commission Charbonneau, bien des Québécois étaient en mode réflexion, permettez-moi d’élargir la perspective un tantinet au-delà de la seule question des malheurs de Montréal.
Il est vrai, comme le dit un vieil adage, qu’«avec des «si», on mettrait Paris en bouteille». Or, il arrive également qu’avec des «si», on finisse par mieux comprendre certains phénomènes politiques complexes.
Ou encore, qu’ils aident à saisir à quel point certains moments charnières dans la vie politique d’un État peuvent aussi débouler à l’encontre de la volonté même de ses élites politiques…
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Et si…
Faisons l’exercice et voyons ce que ça donne sur le sujet de la corruption et de la collusion au Québec:
- Si les médias écrits et électroniques n’avaient pas multiplié ces dernières années les enquêtes journalistiques sur la gestion des fonds publics, notamment, mais pas exclusivement, dans l’octroi de contrats publics à l’industrie de la construction, l’infiltration du crime organisé et le financement occulte des partis politiques;
- Si, au printemps 2009, la députée adéquiste Sylvie Roy n’avait pas lancé la première une demande d’enquête publique au gouvernement Charest sur l’industrie de la construction;
- Si de multiples voix, partisanes, citoyennes et médiatiques – en fait, la presque totalité du Québec (!)- , n’avaient pas porté par la suite cette même demande sur toutes les tribunes possibles au cours des années suivantes;
- Si, en février 2010, pour apaiser cette même opinion publique en colère, le gouvernement Charest – cherchant à poser des «gestes» sans avoir à créer pour autant une commission d’enquête qu’il craignait comme la peste -, n’avait pas nommé Jacques Duchesneau à la tête d’une «Unité anticollusion»;
- Si, toujours pour la même raison, le gouvernement Charest n’avait pas créé l’Unité permanente anticorruption (UPAC) en février 2011 en s’exclamant qu’il voulait voir les bandits en prison et non pas à la télévision;
- Si, en septembre 2011, Jacques Duchesneau – de par son propre aveu éventuel – n’avait pas coulé lui-même aux médias son propre rapport dévastateur sur l’industrie de la construction et le financement des partis où il faisait même référence à l’«enrichissement personnel» d’élus;
- Si la sortie fracassante du rapport Duchesneau n’avait pas soulevé une indignation aussi forte que généralisée dans la population capable de forcer le premier ministre Jean Charest, en octobre 2011, à annoncer à son corps défendant la création d’une commission d’enquête présidée par la juge France Charbonneau, mais sans le moindre pouvoir de contrainte;
- Si, en novembre 2011, la montagne de critiques publiques contre le mandat édenté de la commission Charbonneau n’avait pas obligé Jean Charest à lui donner, in extremis, les pleins pouvoirs d’une vraie commission d’enquête publique et indépendante…
Eh bien, sans cette chaîne spectaculaire de «si», la plupart des 106 personnes arrêtées à date par l’UPAC seraient encore en poste comme si de rien n’était et leurs mains gloutonnes seraient encore plongées jusqu’aux coudes dans la jarre à biscuits des fonds publics.
Gérald Tremblay et Gilles Vaillancourt seraient sûrement encore maires des deux plus grandes villes du Québec. Union Montréal et le parti Pro des Lavallois continueraient d’engranger sans inquiétude des millions dans leurs coffres.
L’usage illégal et coutumier de prête-noms par les partis politiques, tous paliers confondus, serait toujours un sport national.
Sans enquêtes journalistiques et policières, Arthur Porter serait encore le grand patron du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).
Les Montréalais paieraient encore un bon 20 à 30% en trop pour leurs infrastructures.
La mafia s’en mettrait encore plein les bas avec notre argent.
Tony Accurso recevrait encore le «gratin» des profiteurs, toutes catégories confondues, sur son yacht.
Des hauts-fonctionnaires filous se feraient encore «récompenser» grassement par des entrepreneurs reconnaissants pour les contrats offerts en échange.
De grandes firmes d’ingénierie et de construction parmi les plus prestigieuses se diviseraient encore les territoires – et notre argent – entre elles.
Le ministère des Transports ne tremblerait pas à la pensée de voir la commission Charbonneau se pencher éventuellement sur son cas.
Des élus des deux paliers continueraient à accepter des cadeaux d’entrepreneurs sans trop se poser de questions.
Les puissants collecteurs de fonds des partis feraient encore la pluie et le beau temps. Et certains, jusqu’au bureau du premier ministre.
Avouons que ça glace le sang…
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Bref, pensons-y bien, sans cette enfilade de «si» – et j’en oublie sûrement quelques uns -, tout ce beau monde dormirait encore confortablement sur leurs deux oreilles.
Comme quoi, avec des «si», on peut parfois mettre la corruption en bouteille… et certains de ses instigateurs les plus efficaces, en accusation.
Comme dirait l’autre, c’est déjà ça de pris.
Or, la radiographie détaillée de ce système tentaculaire de corruption et de collusion est loin d’être encore complétée à la commission Charbonneau. Côté UPAC, les enquêtes s’ajoutent les unes aux autres, les perquisitions se multiplient et d’autres arrestations sont de toute évidence à prévoir.
Quant au «ménage», le vrai, il reste encore à faire. Surtout au municipal. Au provincial, il est enclenché, mais beaucoup reste encore à faire.
Les Montréalais, les Lavallois et les contribuables québécois en général ne payent peut-être plus de 20 à 30% en trop pour leurs infrastructures et les projets de construction, mais le font-ils encore avec des «extras», disons, moins élevés?
Et que dire des milliards de dollars en fonds publics prévus pour les méga hôpitaux, dont ceux du CUSM et du CHUM, montés en mode «PPP» – partenariat public-privé -, un mode pourtant connu pour ses risques de corruption et de collusion? Ou encore, du Plan Nord et de la vente à rabais des ressources naturelles?
La mafia, quant à elle, fidèle à sa nature, est sûrement en attente d’un nouveau mécanisme d’«adaptation». L’immense tarte de l’industrie de la construction est trop appétissante pour la délaisser de manière définitive.
Et la collusion? Et les dépassements de coûts? Et le favoritisme? Comment s’assurer que pour les contrats publics, ils ne se pratiqueront plus, et pour longtemps, dans la construction, l’immobilier, les infrastructures, voire même l’informatique – trop souvent une machine à brûler l’argent des contribuables?
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La bonne nouvelle est que la tumeur de la corruption est au moins diagnostiquée et qu’elle foisonne au sommet des appareils de pouvoir. C’est là qu’on la retrouve, et non pas dans LA société québécoise dans son ensemble.
Il reste maintenant à savoir si, ici comme ailleurs, cette tumeur est vraiment opérable.
Et si oui, qui en seront à terme les principaux chirurgiens?
La seule chose de certaine est qu’en 2015, le rapport final et les recommandations de la commission Charbonneau leur offriront toute une kyrielle d’instruments chirurgicaux pour le faire. La volonté politique sera-t-elle encore au rendez-vous? Les Québécois, eux, l’exigeront.
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