Erreur humaine? Équipement défaillant? Négligence criminelle? Les questions sont nombreuses concernant les causes du déraillement du «train de la mort» à Lac-Mégantic. Il faudra plusieurs mois avant d’obtenir des réponses. Le boum pétrolier en Amérique du Nord n’est cependant pas étranger à cette catastrophe.
«Cet événement n’est pas juste une histoire québécoise ou un événement isolé dans l’Est du Canada. Ce n’est même pas une histoire aux États-Unis ou en Amérique du Nord. C’est une histoire mondiale», résume Roger McKnight, analyste sénior Pétrole de la société En-Pro International et l’un des principaux experts canadiens en énergie.
On assiste en effet depuis 5 ans à un repositionnement majeur de l’industrie pétrolière sur l’ensemble de la planète avec des conséquences sur le transport du pétrole brut.
Traditionnellement, le pétrole voyageait par bateau, importé de la mer du Nord, et par oléoducs à l’intérieur du continent. Depuis la découverte de nouvelles technologies permettant d’exploiter les sables bitumineux de l’Alberta et les gisements d’hydrocarbures aux États-Unis, notamment au Dakota du Nord, la tendance s’inverse. Les raffineries, pour baisser leurs coûts, s’approvisionnent de plus en plus en pétrole brut en provenance du continent.
Le Canada et les États-Unis s’échangent maintenant des centaines de milliers de barils de pétrole par jour. «La revitalisation du secteur est un renversement que personne n’a vu venir», souligne Pierre Champagne, analyste en énergie chez Valeurs mobilières Desjardins.
En 2012 seulement, la production de pétrole américaine a augmenté de 790 000 barils par jour, selon l’Energy Information Administration des États-Unis. À ce rythme, l’Agence internationale de l’Énergie prévoit qu’en 2017, les États-Unis deviendront le premier producteur de pétrole de la planète, devant l’Arabie Saoudite et la Russie, et un exportateur net en 2030.
Tout ce pétrole, il faut bien le transporter! La croissance est si importante que les oléoducs existants (un réseau de plus de 2 millions de kilomètres aux États-Unis et de 240 000 au Canada) ne suffisent pas à la tâche. Résultat: 75 % de tout le pétrole produit par le Dakota du Nord transite en train. C’est plus de 675 000 barils de pétrole par jour, qui sont transportés via le train.
Ce repositionnement majeure de l’industrie pétrolière et cette course effrénée pour répondre à la demande ont donc fait deux grands gagnants: les compagnies ferroviaires et les fabricants de wagons-citernes. Si bien que le Oil & Gas financial Journal a déclaré l’année 2012 « l’année du wagon-citerne! » (the year of the tank car).
«Le transport par rail est arrivé de nulle part sur l’écran radar, il y a quelques années, pour devenir l’un des plus gros enjeux en matière d’énergie aux États-Unis», peut-on lire dans cette revue spécialisée du secteur.
Un boum qui relance les sociétés ferroviaires. Le pétrole représente maintenant de 2 à 3 % de ce qu’elles transportent. Les fabricants américains de wagons-citernes en profitent également. Ils ont reçu au début de 2013 des commandes pour 2500 nouveaux wagons, qui viennent s’ajouter au 40 000 qui garnissent leurs carnets de commandes. Le prix d’un wagon est passé de 74 000 dollars en 2011 à 100 000 dollars en 2012, et on prévoit qu’il atteindra 133 000 dollars en 2013.
De leur côté, les sociétés ferroviaires en profitent aussi pour fixer leur prix à 7 dollars le baril pour transporter cette matière, selon l’analyste Pierre Champagne. «C’est un marché captif, dit-il, car le train est devenu l’alternative pour transporter le pétrole!» Mais c’est aussi un outil temporaire, car le train, qui coûte trois fois plus cher que l’oléoduc, ne sera pas rentable éternellement, selon l’analyste. «Aussitôt que de nouveaux pipelines vont être construits, ça va revenir à la normale. Mais pour l’instant, c’est certain qu’il y a une piastre à faire là».
Ce n’est pas demain la veille toutefois, car les projets d’oléoducs sont coûteux à construire et nécessitent plusieurs autorisations, sans compter l’obstruction faite par les groupes d’environnementalistes, qui questionnent aussi la sécurité de ce type de transport.
L’industrie du rail a donc encore de belles années devant elle. Tous veulent investir dans ce nouvel eldorado, y compris les oléoducs eux-mêmes, qui construisent de plus en plus de terminaux ferroviaires. Même des fabricants d’éoliennes, comme Trinity Industries, aux États-Unis, ont commencé à convertir leurs usines pour fabriquer des wagons-citernes!
L’Agence internationale de l’énergie estime que la production de pétrole en Amérique du Nord augmentera de 3,9 millions de barils par jour d’ici 2018. Cela représente près de la moitié de la production mondiale, dont la croissance prévue sera de 8,4 millions de barils par jour.
Même si tous les projets d’oléoducs au Canada étaient autorisés, la production continuera d’excéder la capacité du réseau d’au moins un million de barils par jour jusqu’en 2025… Ce pétrole a besoin d’être transporté. Et si ce n’est pas le train, ce sera quoi, le camion?
Faits saillants
- Plus de 675 000 barils de pétrole par jour qui sont transportés par train du Dakota du Nord aux raffineries nord-américaines.
- Le Oil & Gas financial Journal a déclaré l’année 2012 « l’année du wagon-citerne! » (the year of the tank car).
- Même des fabricants d’éoliennes, comme Trinity Industries, aux États-Unis, ont commencé à convertir leurs usines pour fabriquer des wagons-citernes!
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