Pour la première fois à ma connaissance, Air Canada montre son intérêt pour les nouveaux avions de Bombardier, la fameuse CSeries. On parle d’une commande potentielle d’une centaine d’appareils. Rien n’est conclu et Air Canada dit examiner d’autres options, mais une telle commande représenterait une énorme victoire pour ce qui est peut-être le plus important projet manufacturier de l’histoire du Québec.
Cela fait presque 10 ans que Bombardier nous parle de cette nouvelle gamme d’appareils, et j’ai l’impression que nous banalisons son importance. Voici pourquoi son succès est impérieux.
1. Il n’y a pas beaucoup de Bombardier au Québec, c’est-à-dire une entreprise manufacturière internationale exploitant 80 usines de production et sites d’ingénierie dans 26 pays. Juste au Canada, Bombardier donne de l’emploi à 25 000 personnes, dont plus de 18 000 au Québec. Le succès de la C-Série attestera de son avenir dans le secteur aéronautique, qui représentait un peu plus de 50 % de ses ventes de 16,8 milliards de dollars en 2012.
2. En aéronautique, Bombardier est au coeur de la plus formidable grappe industrielle québécoise, avec plus de 35 000 emplois bien payés dans la région de Montréal. À côté de Bombardier se sont établis (ou ont prospéré) des dizaines de fournisseurs à la fine pointe de la technologie mondiale.
3. Le nouvel appareil de Bombardier sera le premier appareil à couloir unique à être lancé au monde en 26 ans. Il offrira la meilleure aérodynamique de sa catégorie, les ailes seront en fibre de carbone et son fuselage, en aluminium. Son moteur, mis au point par Pratt & Whitney, permettra des économies de 20 % sur la consommation de carburant. L’avion sera plus léger, moins bruyant, moins cher à exploiter, moins polluant et il ira plus loin que tous les autres appareils de sa catégorie en production aujourd’hui. Construire un tel avion n’est pas facile. On teste, reteste et rereteste pour s’assurer que tout soit conforme. Des indicateurs de tension posés sur les prototypes enregistrent et mesurent 800 paramètres différents. Cet avion sera un puissant symbole du génie québécois.
4. Il nous rappelle que pour survivre et croître, une entreprise doit constamment investir et innover. On parle ici d’un projet de 3,5 milliards de dollars. C’est plus d’argent qu’une grande aluminerie. Tout cela dans un contexte où les investissements en immobilisations, matériel et outillage des manufacturiers canadiens et québécois tendent à diminuer.
5. Pour assembler les nouveaux appareils, Bombardier construit une nouvelle usine de 667 000 pieds carrés qui sera terminée dans un peu moins d’un an. Le complexe industriel de Mirabel sera alors de 1,5 million de pieds carrés, soit l’équivalent de 26 terrains de football américain. De 2 000 à 3 000 personnes travailleront sur ces avions au Québec.
6. Cet avion est aussi l’incarnation de ce que l’Organisation mondiale du Commerce appelle les produits «Fabriqués au monde». Le fuselage sera fait en Chine et les ailes à Belfast, mais le fuselage arrière, la cabine de pilotage et l’assemblage seront fabriqués à Saint-Laurent et à Mirabel. En agissant ainsi, Bombardier réalise des gains d’efficience qui permettent d’améliorer la productivité et de réduire les prix. Il y a un grand paradoxe dans le commerce international: c’est en important qu’on peut exporter davantage. Par ailleurs, l’ingénierie, le marketing, la finance, la gestion de la production et les activités du siège social profitent à l’économie québécoise.
7. En 2012, le Québec a exporté pour 7,4 milliards de dollars d’aéronefs (72,3 % du total canadien), de moteurs d’aéronefs, de pièces pour aéronefs et d’autre matériel spatial, soit l’équivalent de 11,5 % de ses exportations. C’est une bonne chose que nous ayons des vedettes à l’exportation, surtout quand on affiche un déficit commercial de plus de 21 milliards de dollars en 2012. Le succès de la C-Série pourrait diminuer cet écart.
8. L’échec de la CSeries mettrait fin à 11 ans d’efforts soutenus et représenterait une grande perte financière et d’énergie. Il marquerait aussi un important recul pour Bombardier, qui pourrait décider d’abandonner l’aviation civile et se contenter des avions d’affaires. Ce serait enfin l’échec d’un grand projet piloté par une grande entreprise québécoise.
9. En s’attaquant au créneau des avions de 100 à 160 places, l’avionneur montréalais se met directement dans la trajectoire des grands joueurs de l’aviation civile. Pour protéger leur marché, Airbus a changé la motorisation de son A-320 et Boeing a fait la même chose avec son 737. Embraer, qui a pris la première place pour les jets régionaux, a décidé de remotoriser, d’allonger et de reconfigurer son appareil vedette pour qu’il puisse transporter plus de passagers. La réussite de la CSeries serait une preuve fantastique sur notre capacité à commercialiser et à vendre un nouveau produit sur la scène internationale.
10. Certains reprochent à Bombardier d’avoir sollicité et obtenu la moitié de ce financement de 3,5 milliards des gouvernements québécois, canadien et britannique. Sans leur apport, le projet n’aurait pas eu lieu. Il aura fallu 11 ans entre l’annonce du projet en 2004 et la livraison probable du premier appareil en 2015 pour concevoir, mettre au point et fabriquer le premier avion. Cela ne se finance pas auprès des banques privées.
Par ailleurs, les concurrents de Bombardier profitent de plusieurs avantages (et de tout ce qu’ils apprennent) et empochent en raflant des contrats militaires auprès de leurs gouvernements. Il y a probablement un étage complet des bureaux de l’Organisation mondiale du commerce qui croule sous les documents provenant des grands avionneurs qui se plaignent mutuellement des subventions, ou alors d’autres formes d’aide illicites dont aurait bénéficié leur concurrent. On ne joue pas dans cette ligue avec des tire-pois, malgré mes réserves sur la quantité des aides versées aux entreprises québécoises.
Cet échec se traduirait donc par une perte pour les contribuables.
Personnellement, j’aime mieux suivre l’évolution de ce grand projet structurant que de m’engloutir dans une polémique sur la comptabilité des hijabs et des kippas dans la société québécoise.
Cet article 10 raisons pour lesquelles la CSeries représente l’avenir du Québec est apparu en premier sur L'actualité.
Consultez la source sur Lactualite.com: 10 raisons pour lesquelles la CSeries représente l’avenir du Québec