À partir du 3 septembre, si tout va bien, les pharmaciens élargiront leurs services cliniques en intégrant à leur pratique des actes auparavant réservés aux médecins. Pour 40% de leurs patients. Parce que pour les autres, on ne sait plus trop et que tout ne va donc pas si bien, justement.
C’est que les négociations entre les pharmaciens et le gouvernement vont de travers. Et pourraient aboutir à un net recul de l’équité, notamment dans l’accès aux soins. J’y reviendrai plus loin.
Quels nouveaux services?
D’abord, clarifions: on permettra aux pharmaciens d’effectuer de nouveaux actes professionnels, auparavant réservés aux médecins. Des actes fort utiles, pour des soins mineurs habituellement couverts par le régime public d’assurance-maladie, s’agissant de pratique de la médecine.
Cela devait permettre de faciliter l’accès aux soins et désengorger quelque peu les cliniques médicales ou même les urgences.
Fruits d’une longue mais fructueuse négociation de plus de deux années entre le Collège des médecins et l’Ordre des pharmaciens, ces actes seront éventuellement réalisés dans le cadre de la loi 41, mûrement réfléchie dans le but de mieux répondre aux besoins des patients tout en assurant leur sécurité.
Bien entendu, il y a eu des compromis. Par exemple, les pharmaciens ont accepté de ne pas entrer dans le champ réservé aux médecins du diagnostic. Même si, dans d’autres provinces, ça serait permis.
Les pharmaciens pourront donc prescrire les médicaments pour 12 conditions récurrentes déjà diagnostiquées et traitées antérieurement (par un médecin): rhume des foins, inflammation des yeux causée par des allergies, feu sauvage, acné mineure, infection vaginale à levure, érythème fessier, eczéma léger à modéré, muguet au niveau de la bouche chez une personne qui utilise certains inhalateurs à base de corticostéroïdes, ulcère de la bouche, douleurs menstruelles, hémorroïdes et l’infection urinaire chez la femme seulement.
Le pharmacien prescrira non pas les traitements disponibles actuellement au comptoir, mais bien des traitements plus « avancés » (des antibiotiques par exemple ou des crèmes contenant de la cortisone).
On ajoute aussi 11 traitements préventifs, ne requérant aucun diagnostic : nausées de la femme enceinte, supplément vitaminique (incluant l’acide folique) pour la grossesse, certaines thérapies pour aider à cesser de fumer, la « pilule du lendemain » et un contraceptif oral subséquent pour quelques mois, traitements contre les poux, risque médicamenteux de développer un ulcère de l’estomac, prévention de la malaria, prévention du mal aigu des montagnes, prévention d’infections graves chez les personnes qui portent une valve cardiaque et traitement de la diarrhée des voyageurs.
L’exemple des nausées de grossesse illustre bien l’intérêt de ces nouveaux actes: d’une part, les femmes enceintes ne sont vues en moyenne par leur médecin qu’à la 13e semaine de grossesse – alors que les nausées sont généralement… terminées; d’autre part, la prescription de vitamines prénatales, incluant l’acide folique, est recommandée avant même la grossesse. Deux traitements que le pharmacien pourra donc activer en temps opportun.
Il s’agit d’une avancée pour les patients, la plupart des conditions couvertes étant fréquentes et requérant actuellement… une visite chez le médecin. Mais il s’agit surtout d’un rattrapage: dans les autres provinces canadiennes, ces actes sont acquis depuis longtemps.
D’autres actes sont également prévus, bien qu’ils n’aient pas encore fait l’objet d’une entente portant sur la rémunération: renouveler une ordonnance, prescrire des analyses de laboratoire, substituer un médicament en cas de rupture d’approvisionnement et administrer un médicament afin d’en démontrer l’usage approprié.
Le pharmacien, presque un ami
Au fait, la saviez-vous? Vous consultez votre pharmacien plus souvent que votre médecin. Je n’ai pas les données pour le Québec, mais au Canada, alors qu’une personne consulte son médecin en moyenne 5.5 fois par année (données 2010 de l’OCDE), les Québécois consultent leur pharmacien 9.6 fois par année en moyenne (sondage CROP réalisé en 2010).
Pour des conditions sans doute mineures, on en convient. Mais importantes pour les patients, notamment parce que le pharmacien répond à leurs inquiétudes. Souvent par téléphone d’ailleurs: en moyenne 4.6 fois par année (source CROP).
Pas surprenant qu’il devienne parfois votre ami, dit-on. Au fait, parlez-vous aussi souvent par téléphone à votre médecin? J’en doute.
C’est que les 1735 pharmacies du Québec sont généralement ouvertes tard, elles ne refusent personne, les pharmaciens sont toujours sur place, ils (et surtout elles, désolé: les femmes forment 65% des effectifs!) répondent aux questions des patients et parait-il qu’on y trouve de tout, même un ami.
Au fait, une telle disponibilité, ça ressemble un peu à celle de l’urgence, non? Et vous, pouvez-vous voir votre médecin entre 7h00 et 22h00 sept jours par semaine? Probablement pas. Ceci explique cela.
Un rôle essentiel dans l’équipe de soins
Les médecins ont parfois tendance à oublier le rôle primordial des 8392 pharmaciens du Québec (OPQ, mars 2013) auprès de la population. Rôle qui dépasse largement celui de la prise du médicament.
En particulier auprès des personnes âgées, déjà aux prises avec des troubles de vision, d’audition, parfois de compréhension et prenant justement beaucoup de médicaments, qui doivent se débrouiller avec cet allié de toujours: leur pharmacien.
Il faut réaliser l’ampleur du défi que représente l’administration d’un médicament dans la communauté. Il suffit de comparer avec l’hôpital, où la thérapie médicamenteuse est objet d’attention maniaque de plusieurs professionnels (médecins, infirmières et pharmaciens) travaillant conjointement, supportés par des outils informatiques complexes, des normes de vérification strictes et des revues systématiques de l’acte, ce qui leur permet d’assurer la qualité.
Mais imaginez cette patiente de 74 ans, hospitalisée depuis 3 semaines, qui s’en retourne à la maison avec 13 de ses anciennes pilules (mais dont 3 ont été ajustées) et 4 nouvelles qui se ressemblent beaucoup. Elle quitte en chancelant avec sa prescription, des recommandations le plus souvent difficiles à comprendre, quelques papiers et se pointe à la pharmacie.
À partir de là, tout se passera entre la patiente et son pharmacien, laissés à eux-mêmes. La patiente à la maison, avec ses bouteilles ou un pilulier, et le pharmacien, dans son officine, qui vérifiera les interactions possibles, prodiguera ses conseils, proposera les meilleurs outils pour assurer une prise rigoureuse, se rendra disponible au téléphone et croisera sûrement les doigts pour que tout aille comme prévu.
Toute une responsabilité, qui commande le respect. Or, ces responsabilités s’élargiront encore avec les nouveaux services définis dans la loi 41.
Je ne vous fais là pas une sorte de pub propharmacien. Je suis même souvent critique face à certains aspects de la profession, notamment l’étalage invraisemblable de produits sans efficacité démontrée ou encore, ce conflit d’intérêts potentiel, le pharmacien, étant aussi en affaire, vendant les produits qu’il conseille.
Deux questions importantes auxquelles, fort heureusement, la rigueur du processus et la qualité des protocoles mis en place pour les nouveaux services répondent bien.
Ce qui sera rémunéré
Voyons voir pour quels nouveaux services le pharmacien recevrait-il une rémunération? 1) Pour soigner des problèmes courants déjà diagnostiqués. 2) Pour prescrire dans des contextes où le diagnostic n’est pas requis. 3) Pour ajuster la posologie pour atteindre les cibles mentionnées par les médecins, par exemple le coumadin.
C’est tout ce qui fera (ferait) pour l’instant l’objet d’une entente formelle. Pour les autres gestes, ça attendra, bien que les pharmaciens pourront les pratiquer aussi à partir du 3 septembre.
Au fait, c’est normal d’être rémunéré: les pharmaciens sont dûment formés pour ces nouveaux services (5000 jusqu’à présent), ont complété de nombreux exercices (un cahier de 36 pages!) et ont réussi un examen spécifique. Ils engageront aussi leur responsabilité et devront consacrer une part de leur temps clinique à ces nouveaux actes.
Mais voilà, il y a nouveau problème: c’est de savoir qui va payer? L’argent, toujours…
Le ministre Réjean Hébert aurait pourtant affirmé, en décembre 2012, que tous les services seraient couverts par le régime public. Mais lors d’une sortie récente, il a plutôt proposé que ces nouveaux services ne soient couverts par la RAMQ que pour le 40% des gens encadrés par la partie publique du régime d’assurance médicament – un régime distinct de l’assurance-maladie.
Mais les patients des régimes privés?
Pour le 60% qui reste, assuré par divers programmes d’assurance médicament privés généralement fournis par leur employeur, qui paiera?
Bien, on ne sait pas trop. Ça ne sera pas simple et plusieurs commentateurs et pas toujours les plus à gauche, comme Alain Dubuc, dénoncent avec raison la situation.
Selon le ministre Hébert, les assureurs privés payeront, tout simplement.
Mais rien n’est moins certain. Il semble qu’il faut prévoir un délai d’environ 2 ans pour que les assureurs privés intègrent ces nouveaux services à leur police d’assurance médicament.
Sans compter qu’il y aurait des coûts pour les patients: la coassurance et les primes d’assurance, qui pourraient ainsi augmenter.
Pourtant, il s’agit bien de soins médicalement nécessaires, jusqu’ici couverts par l’assurance-maladie, sans frais directs ou indirects aux patients.
On tourne en rond.
Créer deux classes de patients.
Il y a donc un problème. En souhaitant élargir les services offerts par les pharmaciens, on créé de facto deux classes de patients: ceux qui sont couverts par le régime public et ceux qui ne le sont pas.
Donc deux types d’accès: ceux qui peuvent passer (souvent immédiatement) par leur pharmacien, et ceux qui…
Au fait, qu’arrivera-t-il à ceux qui sont assurés par un régime privé? Peut-être que les pharmaciens leur demanderont des honoraires. Peut-être qu’ils n’iront pas voir leur pharmacien. Chose certaine, ce ne sera pas uniforme.
Il faut dire les choses telles qu’elles sont: c’est un recul pour le système de santé et l’équité dans l’accès aux soins. Point à la ligne. Une privatisation voilée des soins. La mise en place d’un autre petit bout de système à deux vitesses. Ou plus simplement: une erreur. Qu’on peut pourtant corriger.
Le précédent existe: la pilule du lendemain, objet à l’automne 2003 d’une entente particulière entre le ministre de la Santé Philippe Couillard et monsieur Normand Bonin, ancien président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires.
Les pharmaciens sont payés depuis 10 ans dans le cadre d’une entente particulière encadrée par la RAMQ, dans laquelle aucun frais n’est chargé à la patiente, sauf celui déjà prévu pour l’achat du médicament. Et toutes les patientes sont couvertes, assurées ou non par le régime public.
Voilà un modèle pouvant être appliqué demain matin à tout le monde pour les 3 actes négociés.
Des coûts qui en valent la chandelle
Mais on sait que depuis l’élection, la logique du gouvernement s’inspire souvent de celle de son Conseil du trésor, qui vise le déficit zéro à court terme.
Or, pour les trois actes de la pratique des pharmaciens ayant fait l’objet d’une entente, les coûts seraient d’environ 20 000 000 $ annuellement, s’ils étaient couverts par le régime public, selon une source bien informée. Ce montant représente environ les deux tiers d’un millième du budget du ministère de la Santé.
Et peut-être qu’on sauverait des coûts ailleurs: en visites médicales par exemple, notamment à l’urgence, où les patients attendent parfois de longues heures pour accéder au même service qui pourrait dorénavant leur être offert à la pharmacie du coin, moyennant une attente de quelques minutes.
Alors, tout ça pour ça? Le ministre Hébert ne va quand même pas manquer cette occasion d’améliorer l’accès aux soins tout en respectant les fondements de notre système de santé?
Dans le contexte ou 25% des Québécois n’ont pas de médecin de famille et que les autres ont bien souvent de la difficulté à le rencontrer, c’est un projet plein de sens.
Sans compter que de trouver 100% d’amis, plutôt que 40%, ça serait mieux, non? En tout cas, ça serait bon pour la santé. Peut-être pour 150 ans, d’ailleurs. Vive la vie! Etc.
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