
Le sénateur Mike Duffy. (crédit photo: Sean Kilpatrick/Presse canadienne)
L’affaire Duffy a pris une nouvelle tournure, lundi. L’avocat du sénateur a frappé fort pour démontrer que son client était en quelque sorte le bouc émissaire du bureau du premier ministre et du Parti conservateur. Et que toutes ces manœuvres n’étaient pas le fait d’un seul homme, comme le prétend toujours le premier ministre Harper.
Le criminaliste Donald Bayne a évité d’attaquer directement le premier ministre, mais en jetant un sérieux doute sur sa version des faits, il a miné sa crédibilité, d’où la gravité de la situation.
Me Bayne a pris plus de 45 minutes pour faire sa démonstration devant des journalistes attentifs. Armé de courriels, qu’il n’a pas distribués mais cités, il a rappelé qu’après sa nomination, le sénateur Mike Duffy s’est tourné vers la direction conservatrice au Sénat — en d’autres mots, vers la sénatrice Marjorie LeBreton — pour avoir son avis sur ses réclamations de résidence. Selon un courriel lu par l’avocat, Mme LeBreton aurait dit qu’elles étaient en règle.
Quand, quatre ans plus tard, on met publiquement en doute les frais de déplacements et de résidence de M. Duffy, il se tourne vers le bureau du premier ministre et du sénateur David Tkachuk, président du caucus conservateur au Sénat et du comité de la régie interne de la Chambre haute. On lui répond qu’il n’est pas en tort, qu’il a respecté les règles et n’est pas le seul dans la même situation. Nigel Wright, chef de cabinet du premier ministre, ajoute dans son courriel daté du 4 décembre 2012 que le sénateur est, en fait, victime de médisance.
Mais l’affaire ne veut pas s’essouffler, ce qui fait mal paraître le premier ministre Harper, qui a nommé Mike Duffy. Le bureau du premier ministre, Nigel Wright en particulier, cherche donc une façon d’y mettre fin rapidement. Selon Me Bayne, des négociations qui impliquent plus d’une personne au bureau du premier ministre ont lieu. Et une seule solution est proposée: le remboursement des dépenses litigieuses.
Mike Duffy est en désaccord. Il dit avoir respecté les règles. Et il n’a pas les moyens. On lui dit qu’on va lui soumettre un scénario, des réponses à offrir aux médias et possiblement une aide pour rembourser 90 000 $. Parce qu’il doit rembourser. On y tient. M. Duffy résiste, selon son avocat, et c’est là qu’on l’aurait menacé de trouver une façon de l’évincer du Sénat. Il plie.
Mais à travers tout ça, on ignore, dit Me Bayne, le rapport Deloitte qui confirme que les règles sont imprécises. Ou encore le long mémo d’un des membres du comité de l’éthique du Sénat qui rappelle à ses collègues que ce sont les règles, le problème, et non pas les sénateurs — et qu’il faut le reconnaître plutôt que de ruiner des réputations.
Camouflage
Me Bayne parle de tentative de camouflage, c’est vrai, mais pas des dépenses des sénateurs. Ce que le bureau du premier ministre ne voulait pas qu’on sache était son rôle en coulisses pour forcer ce remboursement. Un remboursement qui équivalait à une admission de torts que le sénateur estime n’avoir jamais eu. Le geste évitait d’exposer le fait que personne n’avait eu jusque là de problèmes avec les règles en place.
Le but des manœuvres du bureau du premier ministre n’était pas de faire place nette, mais de protéger les intérêts du premier ministre et du Parti conservateur en calmant une base indignée par ce double affront. Non seulement le Sénat n’a toujours pas été réformé (et M. Duffy et d’autres y ont été nommés), mais en plus, ils portent atteinte à l’image d’intégrité et de frugalité à laquelle les membres du parti tiennent tant.
Depuis que les dessous de ce traficotage, avec chèque personnel en prime de Nigel Wright, ont été exposés, le premier ministre affirme qu’il ne l’a su que lorsque l’affaire est devenue publique et qu’au meilleur de sa connaissance, M. Wright a agi seul, assumant l’entière responsabilité.
Mais à écouter Me Bayne, et à voir ce qui se trame au Sénat en ce moment, on comprend que bien du monde y a mis son nez, y compris pour influencer la gestion du dossier par le Sénat. Aujourd’hui, le leader du gouvernement au Sénat, Claude Carignan, doit présenter une motion pour suspendre — sans salaire et pour le reste de la session (jusqu’aux élections s’il n’y a pas prorogation avant) — les sénateurs Duffy, Pamela Wallin et Patrick Brazeau.
On les punit pour avoir fait preuve de grossière négligence dans la gestion de leurs dépenses. Rien dans les règles du Sénat ne définit cette offense. Aucun processus de suspension du genre n’est prévu, d’autant plus qu’il a pour conséquence de priver des provinces de certains de leurs sénateurs. On nage en pleine improvisation dans le but, soupçonne-t-on, de sauver les apparences avant la tenue du congrès conservateur, à Calgary, dans deux semaines.
Mais cette sortie peut faire mal au premier ministre pendant longtemps, parce qu’elle met en doute sa parole et qu’elle renforce l’image d’un gouvernement prêt à bien des magouilles pour préserver ses intérêts, même à sacrifier sans état d’âme un des siens.
Résistance
M. Harper et son entourage n’avaient peut-être pas prévu que Mike Duffy ferait preuve de tant de combativité après avoir si bien servi le parti. Ils l’ont mal jaugé. Les conservateurs ont beaucoup profité de la notoriété de M. Duffy et de Pamela Wallin pour gonfler leurs coffres. Si eux ne s’en souviennent plus, les deux sénateurs, eux, ne l’ont pas oublié.
S’ils sont suspendus sans attendre le résultat des enquêtes policières entreprises à la demande même du Sénat, ce dernier court le risque de se voir embourbé dans un imbroglio juridique qui coûtera une fortune. Tant M. Duffy que Mme Wallin ont fait comprendre qu’ils ne se laisseraient pas faire.
Plusieurs sénateurs, certains conservateurs, ne sont pas heureux de ce nouvel épisode et désapprouvent la tactique envisagée par leurs patrons. Ils estiment que le Sénat n’a pas à se transformer en cour de justice et que leurs collègues ont droit à la présomption d’innocence, de même qu’à la possibilité de se défendre dans le cadre d’un processus juste et équitable.
L’avocat de Mike Duffy n’a évidemment pas dévoilé tout son jeu. Il a un client à défendre. C’est aussi pour cela qu’il n’a pas non plus éclairé toutes les zones d’ombre. On pourrait encore avoir des surprises, le premier ministre au premier chef.
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