
Illustration : Katy Lemay
Certains clients refusent obstinément de monter dans la voiture de Patrick Drouin. Non pas parce qu’ils craignent la conduite de ce courtier immobilier associé de Re/Max Ambiance, mais bien parce qu’ils tiennent mordicus à faire la tournée des propriétés qui les intéressent… en autobus !
« J’ai eu un couple d’acheteurs qui refusaient tous mes lifts. Leur priorité était d’être près des transports en commun, alors le meilleur moyen pour eux de valider leur choix était de les essayer », dit le courtier montréalais.
C’est souvent le cas pour les acheteurs qui souhaitent s’installer en ville, déclare-t-il. Pour justifier le prix d’achat de la résidence, souvent plus élevé qu’en banlieue, ils souhaitent être près d’un métro ou d’un arrêt d’autobus.
« Sinon, il faudra souvent deux voitures, et on perd un des avantages d’être en ville plutôt qu’en banlieue », ajoute Patrick Drouin.
Pour lui, il ne fait aucun doute que la valeur des maisons situées en périphérie d’une station de métro, d’une gare de train ou d’un arrêt d’autobus est plus élevée, du simple fait que les gens sont prêts à payer plus cher pour cet avantage.
À tel point que dans certaines villes, comme Toronto, Montréal, Hamilton et Vancouver, les élus songent depuis quelques années à récupérer cette plus-value foncière pour financer des services de transport public. Hongkong l’a fait avec succès, mais il faut préciser que la densité de population y est importante et que l’État est propriétaire des terrains. « Dans certains endroits, ces plus-values entraînent des hausses importantes des évaluations foncières, donc une augmentation des recettes fiscales », dit Jean Dubé, professeur de développement économique territorial à l’Université du Québec à Rimouski.
Le chercheur a examiné plus de 24 000 transactions immobilières concernant, de 1992 à 2009, des résidences situées à proximité des lignes de trains de banlieue Montréal–Saint-Hilaire, sur la Rive-Sud, et Montréal–Saint-Jérôme, sur la Rive-Nord.
Sur la Rive-Sud, l’étude montre que la valeur supplémentaire de ces propriétés est telle qu’elle permettrait de rentabiliser la partie des coûts d’exploitation du service de train qui revient aux municipalités. La plus-value foncière atteint un milliard de dollars, ce qui équivaut à des revenus fonciers annuels de 10 millions de dollars pour les municipalités concernées, alors qu’elles déboursent 7,5 millions de dollars pour faire circuler le train sur leur territoire.
Sur la Rive-Nord, les résultats ne sont pas aussi concluants. « Au nord de l’île de Montréal, la concurrence avec l’automobile est plus féroce. L’autoroute 15 suit le même trajet que la ligne de train, et ce n’est pas aussi évident que ce dernier soit plus rapide pour se rendre sur l’île », dit Jean Dubé.
« Il y a bel et bien un effet positif sur la valeur des propriétés, mais cela dépend du type de transport, de l’importance de la ligne et de la ville en question. On ne peut pas généraliser à l’ensemble du Québec et de la planète », ajoute-t-il. Selon lui, les valeurs foncières sont plus élevées dans les grandes villes et près des trajets qui mènent vers les centres-villes. De même, un métro, un tramway ou un train ont plus d’incidence sur la valeur des maisons qu’une ligne d’autobus.
Voilà pourquoi l’urbaniste Paul Lewis, vice-doyen à la recherche à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, ne miserait pas sa chemise sur cet outil de financement.
En général, le lien entre la valeur foncière et le transport collectif est trop volatil, selon lui. Et la distance a aussi son importance. « C’est comme une école, illustre-t-il. On aime tous qu’elle soit proche, mais on ne veut pas nécessairement l’avoir dans notre cour. »
Bref, trop, c’est comme pas assez ! Il suffit d’observer ce qui s’est passé à Montréal depuis 50 ans, ajoute l’urbaniste. « Est-ce que les promoteurs immobiliers se sont rués près du métro pour construire ? Non. Autour des stations, c’est parfois un no man’s land. »
Ce phénomène, dit-il, est propre aux villes où les lignes d’autobus convergent vers les stations de métro. À l’inverse, dans des villes comme Paris, où les réseaux d’autobus et de métro fonctionnent en parallèle, l’environnement des stations est beaucoup plus attrayant, donc plus susceptible d’attirer des résidants et des commerces.
« La logique veut que la valeur foncière augmente avec l’affluence, mais qui veut vivre dans un environnement rempli d’autobus stationnés et de gaz d’échappement ? » dit Paul Lewis.
Jean Dubé reconnaît qu’il ne suffit pas d’ajouter une ligne d’autobus ou de planter une station de métro pour attirer les promoteurs et faire grimper la valeur foncière.
Il a d’ailleurs pu vérifier ce phénomène à Québec, où il a observé l’incidence des métrobus sur la valeur des résidences avoisinantes. Ses conclusions ? Les maisons sont plus chères, mais à condition d’être situées à une distance de 50 à 300 m de la ligne. En deçà ou au-dessus de cette fourchette, l’effet est nul.
« C’est aussi une question de valorisation du transport en commun, ajoute le chercheur. Certaines villes américaines, par exemple, sont tellement conçues en fonction de l’automobile que le transport en commun n’a aucune influence de près ou de loin sur la valeur des résidences. »
Ce n’est pas le cas dans d’autres villes, toutefois. À San Francisco, par exemple, le prix des maisons diminue de 53 dollars pour chaque mètre qui les éloigne d’une ligne de transport collectif !
« Dans les faits, on constate que l’ajout de transport collectif ne fait souvent qu’amplifier des habitudes déjà existantes, dit Paul Lewis. Quand on installe des stations de métro dans des endroits moins intéressants à la base, on ne peut pas s’attendre à ce que le prix des résidences autour grimpe en flèche comme par magie. »
À Longueuil, les maisons situées dans les premiers 500 m autour de la station de métro ont une valeur foncière deux fois plus élevée que la moyenne de celles qui sont dans le périmètre, selon une étude de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain réalisée en collaboration avec Secor.
À Laval ? Pour le savoir, il faudra attendre les résultats d’une autre étude sur laquelle planche en ce moment Jean Dubé. N’empêche que Patrick Drouin, lui, constate que le métro de Laval a permis de développer… l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, à Montréal ! « Pour le même prix, les gens préfèrent souvent rester sur l’île. En faisant augmenter le prix des maisons, le métro a enlevé à Laval son avantage de banlieue. »
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