
Photo : AFP / Getty Images
Au tout début du mois de mai, une plateforme pétrolière chinoise a été installée en mer de Chine Méridionale, dans des eaux revendiquées par le Viêt Nam.
Une semaine plus tard, le 7 mai, un incident naval opposant navires chinois et vietnamiens aux abords de cette plateforme a fait plusieurs blessés du côté vietnamien.
Depuis, la tension est montée dans les deux pays. Au Viêt Nam, les manifestations antichinoises ciblant les entreprises, mais aussi quelques individus, se multiplient. Puis, le 18 mai, la Chine a décidé de rapatrier 3 000 de ses ressortissants. L’escalade se poursuit.
Pourquoi cette réaction ?
La situation dans la zone communément désignée sous le nom de mer de Chine méridionale est complexe, et ce, depuis des décennies.
Ce bassin océanique quasi fermé est revendiqué en partie par le Viêt Nam, les Philippines, la Malaisie, Brunei, l’Indonésie et Taiwan, et dans sa quasi-totalité par la Chine.
Au cœur du contentieux : de minuscules archipels, notamment les Paracels et les Spratleys — des poussières d’îlots et d’atolls pour la plupart inhabitables, mais dont la propriété permet aux protagonistes d’étendre considérablement leur zone d’exploitation économique exclusive et de s’en approprier les ressources naturelles.
Ces revendications s’appuient sur des données historiques faisant référence à la découverte et à l’utilisation de ces archipels, dont l’authenticité et la validité ne font pas l’unanimité entre les pays concernés.
Pour la Chine, qui s’appuie sur d’importantes archives impériales, la souveraineté sur tous ces îlots est incontestable. Elle revendique de ce fait une immense zone en forme de U, qui couvre 90 % du bassin.
Un golfe Persique asiatique ?
Considérées par plusieurs comme le principal enjeu du litige, les ressources pétrolières et gazières jouent certes un rôle indéniable, mais demeurent encore hypothétiques.
S’il y a en effet quelques gisements déjà exploités, ce sont les réserves potentielles qui sont mises de l’avant, notamment par les experts chinois.
S’agit-il d’un autre golfe Persique ? Plusieurs en doutent, surtout à cause des conditions naturelles — notamment les grandes profondeurs dans l’est du bassin, peu propices à la formation de nappes d’hydrocarbures.
La question de la prospection pétrolière devient donc autant stratégique qu’économique, et cela donne un angle particulier à l’installation de cette plateforme pétrolière dans les eaux vietnamiennes.
D’autres enjeux viennent s’ajouter au précédent, à commencer par les ressources halieutiques — importantes — et les questions d’identité nationale, qui font qu’il est hors de question, pour les Chinois comme pour les Vietnamiens et les Philippins, de renoncer à leurs droits et de perdre la face.
Une part importante des opinions publiques des pays concernés est très sensible à cet argument, et les récentes émeutes antichinoises au Viêt Nam sont significatives de cet état d’esprit.
Ultime enjeu, mais non le moindre : la mer de Chine méridionale est une route maritime majeure, qui alimente les économies de l’Asie de l’Est (Chine, Taiwan, Japon, Corée du Sud). La libre circulation y est particulièrement vitale, mais remise en cause par l’ampleur de la revendication chinoise.
C’est l’une des raisons, du moins officiellement, de l’attention particulière que portent les États-Unis à la question de la mer de Chine méridionale. Entre leur allié traditionnel — les Philippines — et leur ancien ennemi devenu un allié objectif — le Viêt Nam —, les États-Unis se positionnent contre la Chine dans ce dossier. Ils ont d’ailleurs clairement condamné l’installation de la plateforme pétrolière, qualifiée de «provocation».
La position chinoise
Bien que le contentieux soit ancien, la position des protagonistes n’a guère changé.
Néanmoins, celle de la Chine s’est progressivement renforcée, avec l’invasion, en 1974, de plusieurs îlots des Paracels occupés par les Sud-Vietnamiens, puis avec la prise de possession d’une partie des Spratleys, en 1988. De gros efforts de mise en valeur de l’île de Sansha (Woody Island) au cœur des Paracels et la récente mise en service d’un porte-avion, le Liaoning, dans le secteur, vont dans le sens de ce renforcement.
Alors que Deng Xiaoping prônait une attitude qui, sans renoncer à ce qui était important pour les Chinois, prônait la résolution des conflits, le numéro un chinois actuel, Xi Jinping, est favorable à une position plus ferme, voire intransigeante. Pékin semble de moins en moins sensible aux avertissements de Washington, et les derniers événements semblent confirmer cette impression.
Violences antichinoises
Mais l’intransigeance n’est pas le seul fait de la Chine.
Le Viet Nâm non plus ne veut pas lâcher un pouce de terrain, et l’opinion publique vietnamienne est fortement sensibilisée à la question des deux archipels revendiqués par Hanoi, appelés Hoang Sa et Truong Sa.
Mais cette fois-ci, la colère des Vietnamiens, au lieu de s’exprimer sur les réseaux sociaux ou par quelques manifestations de moyenne ampleur, a fait place à une violence jamais vue depuis 1975.
Les autorités de Hanoi, que plusieurs (dont Pékin) soupçonnent de ne pas être totalement mécontentes de cette colère populaire — voire de l’encourager indirectement —, ont lancé un appel au calme. Mais la réaction de la Chine ne tardera pas et elle pourrait être virulente, vu l’impression d’inflexibilité que dégage actuellement le gouvernement de Xi Jinping.
Et maintenant ?
La situation en mer de Chine méridionale est tendue depuis plusieurs décennies et elle fait régulièrement l’objet d’incidents plus ou moins graves, mais ce qui se passe en ce moment est préoccupant.
Aucune des parties ne semble prête à faire marche arrière, et la logique d’affrontement a atteint son plus haut niveau depuis 1988.
Pékin s’est-elle inspirée de la question ukrainienne ? Comment va-t-elle réagir aux violences antichinoises au Viêt Nam ? Après les vives tensions de l’été 2012 avec les Philippines autour du récif Scarborough, toujours dans la même région, est-on en face d’une escalade régionale ? La résolution de Washington n’est-elle pas en train d’être testée ?
Cela laisse beaucoup de questions en suspens — et de bien grands enjeux — pour de si petites îles.
Yann Roche
Associé à l’Observatoire de géopolitique de la Chaire @RDandurand
Professeur, Département de géographie, @UQAM
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À propos de la Chaire Raoul-Dandurand
Créée en 1996 et située à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques compte plus de 30 chercheurs en résidence et près de 150 chercheurs associés issus de pays et de disciplines divers. Elle comprend quatre observatoires (États-Unis, Géopolitique, Missions de paix et opérations humanitaires et Moyen-Orient et Afrique du Nord). On peut la suivre sur Twitter : @RDandurand.
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