
Gaétan Barrette / Photo: Clément Allard/La Presse Canadienne
Mine de rien, le ministre Gaétan Barrette pourrait introduire, dans notre régime public de santé, la tarification des soins en fonction des revenus. Le cas échéant, il s’agirait d’un changement fondamental et d’une brèche dangereuse.
Bien entendu, il y en a déjà — malheureusement — beaucoup, de tarifs pour accéder aux soins ; plus qu’on ne le pense généralement, et davantage qu’ailleurs dans les pays de l’OCDE.
Chez nous, 70 % du financement de la santé est pris en charge par le gouvernement, soit moins que dans la vaste majorité des pays qu’on nous cite en exemple pour l’excellence de leur système de santé. Ce qui laisse 30 % devant être assumés, chez nous, par les personnes — par l’entremise de leurs assurances, ou directement de leurs poches.
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Il y a quelques années, la réforme décidée par le ministre Yves Bolduc avait fait passer, sous le parapluie du régime public, des soins non couverts auparavant et pour lesquels il fallait débourser des sommes assez considérables. La pression de certains lobbys, dont celui de voix publiques connues (comme l’animatrice Julie Snyder), avait permis ce résultat.
On souhaitait du même coup changer les pratiques et diminuer le nombre de grossesses multiples et d’accouchements prétermes, source de complications parfois redoutables qui affectent les nouveau-nés et qui doivent, par ailleurs, être prises en charge par le régime public. Le ministre Bolduc nous assurait alors que les coûts directs engendrés par cette couverture seraient, du moins en partie, contrebalancés par ces économies.
Cette nouvelle couverture publique était une manne pour les cliniques privées qui offrent les soins et services de fertilisation, d’abord parce qu’on pouvait s’attendre à une forte hausse de la demande, mais aussi — de l’aveu même de celui qui était alors président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), Gaétan Barrette — parce que les tarifs initialement proposés étaient beaucoup trop élevés. De plus, l’offre de services dans les hôpitaux ne pouvait répondre à cette hausse de la demande.
Durant ces belles années, les gestionnaires de certaines de ces cliniques se félicitaient de «l’efficacité du privé», alors qu’ils bénéficiaient en réalité d’une tarification élevée leur permettant une expansion rapide.
Quand les tarifs ont été revus à la baisse, ils ont écopé et s’en sont d’ailleurs plaints, mais sans succès.
Couvrir les soins médicalement requis
Il faut savoir que l’ensemble des soins médicalement nécessaires est couvert par défaut dans notre régime public. Le gouvernement peut toutefois introduire, par règlement, certaines exceptions.
C’est le cas, par exemple, de l’échographie hors hôpital, une exception demandée en 1980 par le ministre Denis Lazure. Elle fait en sorte que les patients doivent débourser pour en obtenir une hors de l’hôpital. Cette aberration, le ministre Barrette a d’ailleurs promis, durant sa campagne électorale, de la corriger.
Lorsque le ministre Bolduc a décidé de couvrir entièrement la procréation assistée, certains ont remis en cause le bien-fondé de ce choix : est-ce que les fonds requis ne seraient pas mieux investis dans certains soins curatifs, où les besoins sont importants ? C’est là un débat social pertinent, pour lequel il y a eu des arguments valables des deux côtés.
Plus récemment, d’autres questions éthiques ont été soulevées à la suite de «l’affaire Joël Legendre» : est-ce que le programme devait couvrir publiquement les soins et services requis pour un couple homosexuel, alors qu’il n’y avait pas, à proprement parler, de problème médical de fertilité ? Encore une fois, c’est un débat intéressant, et je doute qu’il y ait des réponses absolues à cette question.
Par contre, une question importante est soulevée en lien avec l’approche apparemment proposée par le ministre Barrette — du moins, de ce que je peux en comprendre : celui de la tarification des services médicalement couverts. Introduire une tarification en fonction des moyens pourrait ainsi constituer une brèche fondamentale dans notre régime public.
On le sait, on trouve des tarifs partout dans nos services de santé. Encore récemment, on apprenait que pour visiter les salles d’accouchement, certains hôpitaux chargeaient de 5 dollars à 15 dollars. Pour prendre l’ambulance, cela coûte aussi des sous, même si on est en arrêt cardiaque. Et pour payer ses médicaments, il faut débourser une quote-part.
Pour une chambre privée aussi, il faut payer. Sans oublier pour le stationnement permettant d’accéder à l’hôpital. Et pour tous les formulaires remplis par le médecin et non couverts par le régime, on doit sortir le portefeuille. La liste est immense.
Il y a aussi la question des frais accessoires indus, chargés en clinique privée aux patients pour l’accès à des services médicalement requis, mais pourtant assurés par le régime public : frais pour passer une colonoscopie, pour se faire appliquer des gouttes oculaires, pour «ouvrir un dossier»… On peut questionner le bien-fondé, la légitimité et même la légalité de tous ces frais, pour lesquels d’ailleurs un recours collectif s’organise actuellement.
Changer la logique du système
Mais ce que le ministre semble vouloir, c’est de maintenir le programme de procréation assistée tout en modulant les frais en fonction du revenu. Attention, c’est tout à fait nouveau et cela serait un changement de paradigme.
En clair, une telle approche pourrait ouvrir la porte à la facturation de diverses catégories de patients en fonction de leur revenu pour des soins pourtant jusqu’ici offerts gratuitement dans le système de santé et financés par l’entremise des impôts — la plus juste manière de redistribuer.
Jusqu’ici, le principe fondamental d’un système comme le nôtre est de payer selon ses moyens et de se faire soigner selon ses besoins. Voilà ce qui pourrait être remis en cause.
Ce n’est donc pas anodin. Au principe de la tarification au services et de l’utilisateur-payeur, qui séduit nos gouvernements, on pourrait opposer beaucoup d’arguments portant sur l’équité d’accès, la justice sociale et le bien commun, dont il faudrait débattre publiquement.
C’est souvent par le biais de dispositions apparemment secondaires que l’on initie des transformations fondamentales. Il faudra demeurer attentif pour éviter que l’ajustement du programme de procréation assistée ne se transforme en cheval de Troie visant les principes fondamentaux qui régissent notre système de santé.
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À propos d’Alain Vadeboncœur
Le docteur Alain Vadeboncœur est urgentologue et chef du service de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur agrégé de clinique à l’Université de Montréal, il enseigne l’administration de la santé et participe régulièrement à des recherches sur le système de santé. On peut le suivre sur Facebook et sur Twitter : @Vadeboncoeur_Al.
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