
Photo: Guillaume Lavallée/AFP/Getty Images
Poursuivre au criminel le plus grand cabinet d’ingénierie canadienne pourrait conduire à sa perte et menacer plus de 5 000 emplois au pays. Voilà, en quelques mots, la mise en garde de Robert Card — le p.-d.g. de SNC-Lavalin — dans une entrevue qu’il a livrée, mercredi, au Globe and Mail.
Robert Card craint que si des poursuites sont engagées contre l’entreprise, elle se trouverait incapable de soumissionner l’obtention de contrats publics, qui constituent une grande partie de son carnet de commandes au Canada — ce qui mènerait à sa disparition ou à sa vente.
La société d’ingénierie québécoise a «couru après le trouble» avec ses nombreux manquements à l’éthique, de même que des enquêtes et des poursuites pour corruption, fraude, pots-de-vin, production de documents contrefaits et autres malversations touchant des contrats obtenus en Libye, en Algérie, au Bangladesh et en Angola, ainsi qu’au Québec, avec le chantier du Centre de santé McGill. Des poursuites criminelles ont notamment été engagées contre son ancien p.-d.g., Pierre Duhaime, et son ex-vice-président Construction, Riadh Ben Aïssa.
Pourrait-on justement conclure que le fait que les acteurs de ces actes soient poursuivis (et éventuellement condamnés) devrait être suffisant, et qu’on devrait épargner l’entreprise en tant que telle pour lui permettre de survivre ? S’il est vrai que celle-ci a mérité un gros zéro en matière d’éthique, son nouveau président dit qu’il en train de faire le ménage et promet une conduite au-delà de tout reproche.
L’enjeu est de taille. Il s’agit de l’une des plus grandes multinationales québécoises et de l’une des plus anciennes, puisque son origine remonte à 1911. Elle est présente dans 35 pays et fait des affaires dans une centaine d’États. Son siège social est important dans une ville qui n’en compte pas assez — et peu de cette ampleur. Ses revenus frôlent les huit milliards de dollars.
Par contre, il est difficile de départager les actes des dirigeants et l’entité corporative en tant que telle. Une entreprise ne peut pas soustraire à ses actes passés ni aux fraudes commises en son nom.
Les entreprises ne sont pas au-dessus des lois et elles doivent être pleinement imputables. La turpitude des dirigeants d’Enron, notamment de son président Kenneth Lay, a mené l’entreprise à la faillite, même si elle avait été l’une des plus importantes aux États-Unis. Andersen, l’un des plus grands cabinets d’audit aux États-Unis, a aussi été démantelé après le scandale Enron.
Les enquêtes policières et les travaux de la commission Charbonneau tracent un portrait pitoyable des secteurs de la construction et du génie-conseil québécois. Une culture des raccourcis éthiques semble avoir été épidémique au Québec, et c’est un pan entier de l’économie qui se retrouve aujourd’hui dans une grande zone de turbulence. Plusieurs entreprises et des dizaines de milliers d’emplois pourraient être menacés si ces sociétés n’ont plus accès, pendant plusieurs mois, au processus d’attribution des contrats publics des différents gouvernements soucieux de ne pas laisser libre cours à la collusion et à la corruption.
Déjà, le cabinet de génie-conseil Dessau a été vendue à l’Albertaine Stantec. Je n’en fais pas de cas. Sauf qu’un problème systémique de corruption risque de se transformer en disparition systémique de sociétés qui ont pris des décennies à se construire.
Il ne faut pas empêcher les poursuites contre les cabinets de génie-conseil. La nature des travaux entrepris font en sorte qu’elles sont nombreuses.
Canadian Royalties, qui exploite une mine dans le Grand Nord québécois, a engagé une poursuite contre SNC-Lavalin pour des motifs qui n’ont rien à voir avec les scandales en cours. Même chose pour les propriétaires de résidences en Mauricie, qui ont engagé un recours en raison des dommages causés par la présence de pyrrhotite dans le béton.
On ne peut pas mettre non plus SNC-Lavalin à l’abri de poursuites comme celle des investisseurs qui ont engagé un recours collectif d’un milliard de dollars contre l’entreprise parce que le titre a pris une sacrée débarque après les révélations concernant l’obtention de contrats en Afrique du Nord.
Dans l’entrevue au quotidien torontois, Robert Card priait les gouvernements de ne pas engager eux-mêmes des poursuites criminelles contre sa société ni de la déconsidérer quand il y aura de nouveaux contrats à octroyer.
Je vois mal le gouvernement du Québec se priver de tous les recours qu’il pourrait juger appropriés dans le contrat de l’hôpital de l’Université McGill. La loi est la même pour tous, et tout indique que les contribuables ont été floués.
Par contre, les gouvernements et les organismes comme l’Autorité des marchés financiers (AMF) peuvent faire preuve de jugement et apprécier les efforts entrepris par un cabinet comme SNC-Lavalin pour revoir ses procédures et sa gouvernance.
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À propos de Pierre Duhamel
Journaliste depuis plus de 30 ans, Pierre Duhamel observe de près et commente l’actualité économique depuis 1986. Il a été rédacteur en chef et/ou éditeur de plusieurs publications, dont des magazines (Commerce, Affaires Plus, Montréal Centre-Ville) et des journaux spécialisés (Finance & Investissement, Investment Executive). Conférencier recherché, Pierre Duhamel a aussi commenté l’actualité économique sur les ondes du canal Argent, de LCN et de TVA. On peut le trouver sur Facebook et Twitter : @duhamelp.
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