Comme expliqué dans un précédent billet (Se retrouver au milieu d’une vingtaine d’ours ? Pourquoi pas ! ) ce rassemblement a lieu la nuit, ce qui impliquait la mise en place d’un système d’éclairage.
Arrivé sur les lieux vers 21h30, nous avons repéré les signes de la présence d’ours dans la zone indiquée par l’informateur d’Eléna.
Nous nous organisons rapidement ; j’enfile une combinaison de moto, seul moyen de me protéger des coups de griffes éventuels, Eléna positionne la voiture afin de m’éclairer et Virginie, une amie de passage, effectuant un tour d’Europe, prie pour le salut de mon âme, tout en filmant la scène.
La voiture est garée sur le sentier, phares allumés, en direction de la forêt. J’avise deux arbres qui laissent entrevoir un sentier. A l’extérieur de ces deux arbres se trouvent une zone extrêmement humide, sorte de petits marécages. Au vu de la topologie des lieux, je me dis que les ours empruntent peut être ce sentier et que puisque la zone est humide partout sauf entre ces deux arbres, il y a de forte chance que les ours passent par là.
Je m’enfonce d’une dizaine de mètres et accroche deux lampes dans les arbres. Je me retourne et me dirige vers la voiture. Aveuglé par les phares de la voiture, je ne discerne pas bien le chemin, m’en écarte et m’enfonce dans le mini marécage. J’ai de la boue plein les bottes ; espérons que ce soit uniquement de la boue et pas des déjections d’ours…
Ouverture du coffre, le trépied, la voiture recule, je me positionne à 5 mètre de celle-ci, test de la lumière, correction de l’ISO, modification de la vitesse d’obturation, un branche qui craque à droite, un râle en face de moi, des grandes herbes qui bougent à ma gauche…
Test de lumière
Combien sont-ils ? Au moins trois, si j’en juge par les indices que relèvent mes sens, qui sont à cet instant, très en alerte. Mes mains ne tremblent pas, ma respiration est calme, je me sens bien. Cette adrénaline, l’escalade m’a appris à la dompter, à l’apprécier, mais il y a quelque chose qui me dérange: j’ignore si il y a un danger ou pas et cette ignorance laisse la peur gagner du terrain.
Au bout de quelques minutes, je n’y tiens plus. Je saisis ma lampe torche et je balaye la nuit. Première mauvaise nouvelle, un brouillard descend du bois ; il me sera donc impossible de prendre des photos.
Deuxième bonne ou mauvaise nouvelle (difficile à dire) : une paire d’yeux en face de moi, une autre à ma droite et rien à ma gauche.
Il y a quelque chose qui cloche. Je le sens même si je ne peux pas l’expliquer. Je décide de lever immédiatement le camp. Je retourne à la voiture, confie l’appareil photo visé sur son pied à Virginie et demande à Eléna d’éclairer du coté gauche là où il n’y avait rien. Le temps qu’elle allume le moteur, je m’avance à l’aveugle. La voiture démarre, les phares percent le brouillard : à 5 mètres de moi une oursonne et deux jeunes oursons ! Je cours à la voiture. Virgine me passe l’appareil et le trépied.
Test de la lumière, correction de l’ISO, modification de la vitesse d’obturation; trop tard, elle est partie.
Que faire ? Je repars vers mon poste d’observation. Mon petit trio m’observe depuis l’entrée de la forêt. Si je veux pouvoir réaliser une photo correcte, je dois aller récupérer les lampes que j’ai placées à la sortie du bois. J’hésite. Une femelle et deux petits ; il y a toujours la possibilité que la mère charge pour protéger sa progéniture. Le terrain est glissant et on s’y enfonce facilement ; battre en retraite pourrait s’avérer très délicat.
Je respire doucement. C’est une belle nuit, dommage pour le brouillard. Je réfléchis ; la mère ne chargera pas, elle était calme, il n’y a pas de raison de s’inquiéter. De toute façon, je ne peux pas laisser les lampes dans ces arbres éternellement. Je m’avance. Une lampe de poche dans la main gauche. Une arme de défense anti ours dans la main droite. Craquement à droite ; il(s) s’approche(nt). Du mouvement sur le devant. Calme à gauche.
Je décroche une lampe, attrape l’autre, ma main est mal assurée, la lampe tombe, roule. Pause, balayage de la nuit à l’aide de la torche, des yeux, calmes ; jusqu’ici tout va bien.
Je ramasse la lampe et retourne vers la voiture. A cet instant, la femelle et les trois petits réapparaissent à environs 4 mètres de nous. Les petits tapotent leur mère, la mère me regarde, je m’approche.
Vite l’appareil, test de la lumière, correction de l’ISO, modification de la vitesse d’obturation; ils s’en vont.
Conciliabule avec l’équipe du jour ; cette petite famille ne reviendra sans doute pas et les autres ours ne semblent pas vouloir sortir de la forêt. Je remonte à bord de la voiture. Difficile d’y rentrer : dorsal de moto, veste en cuir renforcée, veste noir pour masquer les couleurs vives de la veste de moto par-dessus cette armure. J’ai l’impression d’être une tortue géante !
La voiture démarre. Je balaye la forêt. Je dis à Eléna qu’une paire d’yeux s’est reflétée dans le champ de la lumière. Eléna braque : un mâle ! Je bondis : test de la lumière, correction de l’ISO, modification de la vitesse d’obturation ; trop tard.
Je remonte dans la voiture. Dix mètres plus loin, ma lampe croise 4 paires d’yeux, une mère et trois petits. Test de la lumière, correction de l’ISO, modification de la vitesse d’obturation ; trop tard évidement, et ce brouillard qui n’arrange rien.
Vingt mètres plus tard : de nouveaux une mère et quatre petits ! Test de la lumière, correction de l’ISO, modification de la vitesse d’obturation et une fois de plus, trop tard, encore et toujours trop tard !
19 degré au thermomètre, 23h, 3 couches de vêtemenst ; je suis en sueur et fatigué. Aucune photo n’est exploitable.
Parfois, il faut apprendre à perdre et certaines défaites sont vraiment belles à observer.
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Consultez la source sur Safari-photo-nature.blogspot.com: 13 ours en une soirée