Aline Apostolska a remporté le Prix littéraire du Gouverneur général en 2012, catégorie «Littérature jeunesse – Texte», pour Un été d’amour et de cendres (Leméac Éditeur).
« J’ai reçu ce prix à 51 ans et d’un coup cet événement, car c’en est un, m’a obligée à faire ce que je ne fais jamais : me retourner sur mon cheminement. 51 ans, 30 livres, 25 ans de publication littéraire. C’était comme mettre une cerise sur un gâteau d’anniversaire à plusieurs étages, pour bien boucler la boucle. Et continuer. Je me souviens que j’ai passé toute la semaine à pleurer, pour ça, grâce à ça, malgré ça, pour un rien aussi, comme si plusieurs gangues de protection avaient d’un coup cédé. C’est un grand prix, je l’ai accueilli avec une vraie joie néanmoins immédiatement teintée d’un sentiment de responsabilité. Alors après les célébrations, les médias, les partages, j’ai mis l’argent sur un compte et j’ai cessé d’y penser. Une manière de clore une étape pleine de ma vie pour en commencer une autre. »
« Sous ces anniversaires, il y en avait un autre, double, et doublement significatif. Cela faisait exactement 15 ans que j’avais fait ce voyage parmi les orphelins de la communauté tibétaine exilée à Dharamsala, 15 ans que j’avais vu cet adolescent choisir de s’immoler plutôt que d’accepter une vie dénuée de choix de vie, 15 ans aussi, que dans la foulée de ce voyage, sans que je puisse l’expliquer tout à fait, j’ai fui mon couple et la France pour venir à Montréal avec mes fils, sans savoir à l’époque si j’y resterai six semaines, six mois ou si je retournerais aussitôt à Paris. Finalement, 15 ans après, cette boucle-là, intime et fondatrice, se fermait aussi. »
« Jamais je n’ai autant écrit et publié que depuis que je suis venue vivre ici, et mon écriture est devenue plus plurielle et multiforme encore qu’elle ne l’était, bien que l’écriture soit pour moi une vraie vocation d’enfance, une « certitude de fou » dont je n’ai jamais douté puisque j’en ai fait mon métier, comme journaliste et écrivaine, mais aussi comme éditrice, critique et enseignante, depuis le tout début de ma vingtaine. J’écris, je crois, surtout pour témoigner et transmettre. J’étais profondément heureuse, dès lors, que ce fut ce roman-là, destiné en fait aux 16 ans et plus, écrit parce que je ne parvenais pas à oublier ces jeunes tibétains et que les articles déjà écrits à leur sujet ne m’avaient pas suffi (parce qu’écriture journalistique et écriture littéraire n’ont ni la même forme ni le même propos) que ce fut ce livre-là, donc, qui fut primé, donc amené à plus circuler, idéalement en d’autres langues, ce que peut aussi stimuler un tel prix. Mais de façon très indicible, ce prix canadien, pour moi qui vit ici depuis 15 ans seulement, m’a rappelé qu’au fond l’écriture, et la langue française, demeurent mon véritable pays. Le seul pérenne. »
« Je crois que mon espace de travail en témoigne. C’est un espace ouvert, une partie de mon salon, où j’écris à mon bureau (don d’Hélène Dorion…), ou dans le canapé (cadeau de mes fils), ou dans mon lit, en silence généralement, toute la nuit ou toute la journée lorsque je suis dans une phase intensive (spontanée ou obligée parce que j’ai le plus souvent plusieurs livres en cours en même temps) mais je peux tout aussi bien ne pas écrire du tout, pendant de longues semaines (je ne parle pas d’écrire des articles). Je suis profondément solitaire et contemplative, ne rien faire me ressource beaucoup, puis je me mets à travailler énormément, et généralement vite. Dans cet espace ouvert, je peins aussi, m’étant récemment, et sans préavis, mise à la peinture, pour moi-même, ce qui m’est devenu aussi nécessaire que d’aller nager quotidiennement. »
« Quand je m’enferme pour écrire, finalement je me « sens enfermée » et cet état ne me va pas du tout. Alors je peux aussi bien écrire partout, n’importe où, dans un avion, dans la nature, sur la plage, ou dans un café, plus rarement, seulement les jours où je ne parviens pas à me concentrer chez moi et que pour ce faire j’ai soudain besoin de me trouver au milieu des autres. »
« Mais si je l’ai ouvert, cet espace, c’est aussi parce que je n’ai jamais voulu laisser mes enfants derrière une porte bouclée qu’ils n’auraient pas le droit d’ouvrir. D’aussi loin que je me souvienne, mon rapport à la lecture, puis à l’écriture a été simple et quotidien, et j’ai souhaité le rendre tel pour mes fils. Du coup, depuis toujours, car écriture littérature et maternité ont cheminé simultanément depuis 25 ans, mes enfants ont toujours respecté cet espace accessible et démystifié, sans l’envahir intempestivement ni en être intimidés. Pour moi, l’écriture n’est pas une activité hors la vie. Elle n’est pas une activité secrète ni obséquieuse. De fait, elle habite depuis longtemps le centre de ma vie tout comme mon espace de travail se situe au centre de mon espace de vie. »
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